Karl Falkenberg, directeur général Environnement de la Commission européenne entre 2009 et 2015, compte parmi les premiers soutiens du PFC. A la veille des élections européennes de ce week-end, nous lui avons posé quelques questions.
Qu’est-ce qui empêche l’Europe, aujourd’hui, d’opérer une révolution écologique qu’elle sait nécessaire ?
Karl Falkenberg : Ce qui manque essentiellement, c’est la volonté politique ! La plupart des Européens savent aujourd’hui que l’homme et sa façon de consommer et de produire sont la cause principale du dérèglement climatique. Mais rares sont les responsables politiques qui comprennent l’urgence de la situation et qui ont le courage de conduire le changement nécessaire. Nous avons tous une fâcheuse résistance au changement, nous aimons nos habitudes et nos petits conforts.
Les grandes entreprises sont pareilles. Elles aiment leurs technologies et leurs investissements et en attendent de gros retours le plus longtemps possible, au lieu d’investir dans le changement et dans de nouvelles technologies. Parce que la transition demande des efforts technologiques et financiers qui, au départ, pourraient être coûteux en termes de compétitivité. Sans régulation, le changement nécessaire ne se fera pas ou pas dans les délais nécessaires, parce qu’il existe en matière d’environnement un réel problème de free ride : ceux qui polluent profitent de l’effort de ceux qui polluent moins et cela crée un déséquilibre que nos sociétés doivent corriger.
Les clés de cette révolution sont-elles entre les mains du couple franco-allemand ?
K.F. : Non, je crains que le couple franco-allemand n’en ait pas les moyens. D’abord, parce qu’en matière de politique énergétique, les deux pays se trouvent aux antipodes : l’Allemagne mise sur le renouvelable, sans nucléaire, et avec le charbon comme mauvaise énergie de transition jusqu’en 2038. La France a fortement misé sur le nucléaire et doit entreprendre une transition difficile vers le renouvelable. Mais aussi parce que, dans un grand marché unique européen, les deux pays auront à cœur de défendre leur compétitivité à court terme. Et finalement, parce qu’on ne mettra pas un coup d’arrêt au dérèglement climatique en réduisant seulement les émissions européennes, qui représentent aujourd’hui moins de 10% des émissions totales.
Par contre, le couple franco-allemand pourrait montrer l’exemple d’une transition réussie avec ses partenaires européens : éliminer les subventions aux énergies fossiles, investir dans les énergies renouvelables, répondre aux besoins de stockage de ces énergies, améliorer l’efficacité énergétique de nos habitations, de nos systèmes de transports, revoir notre système de production agricole et nos habitudes alimentaires, sans oublier un retour du secteur financier vers un comportement moins spéculatif, etc. En bref, montrer que la transition est possible, même avec ses difficultés de démarrage, et qu’elle est bénéfique pour tous dans une société plus respectueuse des limites de notre planète commune.
Les élections européennes du 26 mai peuvent-elles changer la donne ?
K. F. : Absolument ! Dans nos démocraties européennes, les décideurs siègent dans les parlements. Et le Parlement européen est à l’origine de la grande majorité des législations applicables dans les Etats Membres, que ce soit en matière d’environnement, de changement climatique, de commerce, de concurrence, d’agriculture, etc.
Nos parlements fonctionnent par votes majoritaires : le parti politique qui a le plus grand nombre de représentants influence les politiques sectorielles au premier chef ! Le Parlement européen a été dominé depuis 1999 par le PPE, le Parti populaire européen, un groupe de partis conservateurs qui prône une version néo-libérale de l’économie de marché et fait de la dérégulation et de la défense des intérêts des grandes industries ses principaux objectifs.
Les citoyens ont le pouvoir de changer cette situation. Encore faut-il aller voter, et voter utile. Le vote de dimanche n’est pas un scrutin national ! Il déterminera les politiques européennes pour les cinq prochaines années. Il y a en principe deux grandes familles politiques capables de former, par leur taille, une majorité au Parlement européen : le PPE et l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates (S&D). Ni l’une ni l’autre n’aura une majorité à elle seule et elles devront trouver des partenaires parmi les libéraux (ALDE) – vers lesquels s’oriente Renaissance, la liste d’Emmanuel Macron – et les écolos. Et puis il reste des formations plus à droite ou plus à gauche, qui expriment plus ou moins fortement un rejet de l’Union Européenne.
Le vote du 26 mai permettra au citoyen de décider : continuité ou changement, centre-gauche ou centre-droite, ou partis extrêmes ! A nous d’aller voter, pour que la composition du Parlement européen soit conforme à ce que nous en attendons !