Le 7 juillet 2022, un projet de loi de finances rectificative est déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale. Il comporte des dispositions relatives à la fiscalité énergétique ainsi que des dépenses destinées à soutenir le pouvoir d’achat des ménages et entreprises. En effet, l’invasion russe en Ukraine a pour conséquences une hausse des prix de l’énergie, une diminution des échanges internationaux et favorise l’incertitude des ménages et entreprises, au détriment de la croissance économique (Direction générale du Trésor, 2022).
Le gouvernement, tout en demeurant engagé dans la Stratégie nationale bas-carbone, doit limiter les effets de la crise sur les agents économiques, principalement en finançant des dispositifs budgétaires et fiscaux qui sont défavorables à l’environnement. Concilier la lutte contre la crise énergétique avec le verdissement de nos finances publiques relève ainsi d’une difficile équation. La stratégie gouvernementale comporte des axes qui ne résolvent pas durablement le problème de la dépendance française aux énergies fossiles.
Les dispositifs sont présentés dans l’exposé général des motifs de la loi de finances rectificative et les ouvertures de crédit détaillées à l’article 6 et à l’annexe B.
Le gouvernement prévoit de maintenir son soutien aux ménages et aux entreprises par la prolongation du dispositif de “remise sur les carburants” qui peut atteindre 18 centimes TTC par litre. Elle peut représenter jusqu’à 10 euros économisés pour chaque plein de 60 litres, alors que les prix à la pompe se maintiennent au-delà de 2 euros le litre en juin, soit 0,5 euro supplémentaire par rapport aux prix observés en 2019. La remise diminuera progressivement à partir de début octobre pour se terminer début décembre. Le dispositif nécessite l’ouverture de 4,6 milliards d’euros supplémentaires pour l’année 2022, en plus des 25 milliards d’euros engagés depuis l’automne 2021.
Une nouvelle indemnité carburant, plus ciblée sur les ménages modestes, sera versée sur demande et une fois, pour un montant de 100 à 300 euros par véhicule, modulable selon le niveau de revenu, la composition du ménage et les déplacements effectués. Environ 10 millions de foyers pourront en bénéficier. Cette mesure est plus ciblée que la précédente et donc plus efficace pour aider les ménages précaires à financer leurs dépenses de carburant. Toutefois, elle ne permet pas de les aider sur le paiement de leurs factures de gaz et d’électricité.
Le bouclier tarifaire, déployé depuis octobre 2021, pour bloquer la hausse des prix du gaz pour les particuliers, est prolongé alors qu’il devait s’arrêter au mois de juillet. Il a permis d’éviter une hausse de 50 % des tarifs en fixant le prix du gaz autour de 80 euros par mégawattheure. La mesure présente un coût de 4,7 milliards pour 2022. Un dispositif similaire est mis en place pour l’électricité, en contenant la hausse à 4 % contre 35 % sans ce dernier.
Les énergies fossiles sont toujours trop présentes dans notre mix énergétique
(28 % de pétrole, 16 % de gaz naturel et 2 % de charbon).
Que penser de ces dispositifs ?
S’ils sont nécessaires pour préserver le pouvoir d’achat des ménages et limiter les coûts des entreprises, ils encouragent l’usage des énergies fossiles par, d’une part, le soutien budgétaire à leur consommation, et d’autre part, en modifiant le “signal-prix” qui est censé désinciter les agents économiques à y recourir.
En effet, les mesures augmentent les dépenses budgétaires directement défavorables à l’environnement (étudiées dans ce précédent billet de notre association, pour rappel de l’ordre de 54 milliards d’euros), appelées “fiscalité noire” (OCDE, 2013), avec un double impact négatif sur la lutte contre le dérèglement climatique : elles ne sont pas utilisées pour la transition écologique, malgré le contexte budgétaire restreint (5 % de déficit annuel prévu pour 2022, pour 112,5 % de dette publique rapportée au PIB en 2021) (Cour des comptes, 2022), et contribuent directement au dérèglement climatique.
Les mesures semblent efficaces pour limiter l’augmentation de la précarité énergétique engendrée par l’invasion russe. En juin, l’inflation (6,5 % annuelle) est inférieure de près de 2 points à l’inflation en zone euro (8,6 %) (Banque de France, 2022). Toutefois, sans hausse des salaires, les mesures ne peuvent pas lutter seules contre la précarité énergétique. Selon le gouvernement, en intégrant l’ensemble des mesures de soutien au revenu des ménages (revalorisation de prestations sociales, aide exceptionnelle de rentrée, augmentation du point d’indice des agents publics et suppression de la contribution à l’audiovisuel public), les mesures du projet de loi de finances rectificative augmentent le pouvoir d’achat des ménages de 0,5 % en 2022, en intégrant les effets de l’inflation. La croissance économique est sauvegardée en se fixant à 2,5 % du PIB en 2022, bien que demeurant inférieure aux premières estimations de la loi de finances initiale (4 %).
Toutefois, les mesures ne répondent pas aux problèmes structurels de l’économie française, en particulier l’importance des énergies fossiles dans notre mix énergétique (28 % de pétrole, 16 % de gaz naturel et 2 % de charbon), malgré le poids du nucléaire (40 %) et dans une moindre mesure des énergies renouvelables (14 %) (RTE, 2022). Surtout, les ménages en situation de dépendance à leur véhicule thermique, sans solutions de mobilités alternatives, demeurent contraints à moyen et long terme de subir l’augmentation du prix des énergies fossiles (Conseil d’analyse économique, 2019). S’il semble justifié de mutualiser les coûts liés à la crise énergétique, la part de l’augmentation du prix des énergies fossiles liée au dérèglement climatique ne saurait être prise en charge par le budget de l’État, sans quoi les mesures n’encouragent pas la sobriété et l’usage d’énergies alternatives.
L’État n’a pas vocation à financer durablement des dépenses défavorables à l’environnement. Au contraire, il doit faciliter l’investissement dans la transition écologique, comme le prévoit par ailleurs la loi de finances rectificative, en abondant de 1 000 euros l’aide MaPrimeRénov pour l’installation d’un système de chauffage qui permet de sortir du gaz ou du fioul (400 millions d’euros de crédits budgétaires). Le dispositif, toutefois, n’encourage que des rénovations partielles et est inadapté à la nécessité de rénovation globale des logements.
Ainsi, si l’aide aux agents économiques dans la consommation d’énergies fossiles semble justifiée par la nature exceptionnelle de la crise actuelle et par la crainte de mouvements sociaux, elle ne saurait être durable. Le prix du carbone a vocation à augmenter afin de désinciter à l’utilisation des énergies fossiles, et d’encourager l’usage des alternatives décarbonées, pour ainsi lutter contre le dérèglement climatique en respectant les objectifs de la stratégie nationale bas carbone de baisse de 55 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 (Commission européenne, 2021).