Matthieu Sattler est ingénieur polytechnicien, contributeur pour le collectif Pour un réveil écologique. Alors que la crise énergétique s’ajoute à la crise climatique et que la question de la sobriété n’a jamais été aussi présente dans les débats, Matthieu Sattler co-fonde Don de chaleur, une initiative à visée écologique et sociale qui a pour objectif de partager plus équitablement ce bien commun qu’est l’énergie. Explications.
Il y a près de 4 ans, vous étiez encore étudiant à Polytechnique, vous avez co-écrit le Manifeste étudiant pour un réveil écologique qui appelait à changer profondément de modèle de société. Vous considériez alors que « quasiment aucune entreprise n’était cohérente sur l’écologie ». Est-ce que ce point a évolué selon vous ?
Je crois que le constat ne se limite pas qu’aux entreprises : personne n’est cohérent sur l’écologie et je ne déroge pas à la règle. J’essaie de manger plus local, moins de viande et de poisson, de privilégier la seconde main, le vélo et le train… J’y prends beaucoup de plaisir, mais je ne prétends pas être exemplaire en matière d’écologie, loin de là. On est collectivement tous loin du compte. Simplement j’essaie de faire de mon mieux et de me remettre en question, à mon niveau.
Est-ce qu’il y a des entreprises qui font de leur mieux et qui acceptent de remettre fondamentalement en question leurs modèles économiques pour apporter des réponses concrètes à l’urgence écologique ? Oui heureusement. Une tribune a été publiée début juillet dans laquelle 84 dirigeantes et dirigeants d’entreprises de toutes tailles appelaient à une sobriété organisée plutôt que subie. Il y a parmi elles des entreprises vraiment engagées. Et j’espère d’ailleurs que Don de Chaleur, qui est l’entreprise à mission que je suis en train de créer, rentrera dans cette catégorie. Mais c’est encore bien loin d’être une généralité. A l’époque, le message envoyé par les étudiants était « à quoi bon travailler pour une entreprise qui ne fait pas sincèrement de son mieux pour apporter une réponse à l’urgence écologique ». Et ce message n’a pas changé et ne changera pas : on passe l’essentiel de notre temps à travailler, on ne peut pas se permettre de consacrer notre énergie à un employeur qui n’est pas fermement décidé à être une partie de la solution !
Face au risque de pénurie d’énergie annoncé pour cet hiver, le gouvernement met en place un plan de sobriété énergétique qui impliquerait l’ensemble des acteurs de la société française. Quel regard portez-vous sur ce plan ?
Les annonces de l’Etat inquiètent, et c’est normal, mais je ne crois pas qu’elles aient donné envie à grand monde de participer à l’effort collectif. Le discours est focalisé sur les risques de pénurie et de rationnement cet hiver et laisse planer une totale incertitude sur l’horizon au-delà de 2022. A mon sens, ça manque d’une vision de long terme. Qu’on le veuille ou non, l’énergie ne sera plus jamais abondante comme elle l’a été jusqu’à maintenant. C’est d’autant plus vrai si l’on veut tenir nos objectifs de neutralité carbone à horizon 2050. Il va falloir apprendre à s’adapter, à faire évoluer nos façons de consommer. L’Etat devrait nous y aider en proposant des solutions concrètes, qui donnent envie de changer nos habitudes de consommation.
Pour le moment, tout ce qu’on nous demande c’est de débrancher la télé quand on ne l’utilise pas et d’éteindre les lumières. Comment nous inciter à aller plus loin que ça ? L’Allemagne vient de créer un abonnement de train qui permet de voyager dans tout le pays pour 9 euros par mois : ça donne envie de laisser sa voiture au garage !
« L’énergie est un bien commun : elle n’appartient à personne, tout le monde en a besoin, et il faut apprendre à la partager équitablement, tout particulièrement quand elle vient à manquer comme cet hiver. »
Avec l’initiative Don de chaleur, vous encouragez les consommateurs à la sobriété et voulez mettre les fournisseurs à contribution. Pouvez-vous nous expliquer en quoi ça consiste ?
L’idée du Don de Chaleur est d’embarquer dès cet hiver 1 million de personnes dans un défi de sobriété énergétique. Vous connaissez les courses solidaires : vous courez, et chaque pas que vous faîtes permet de récolter des dons pour une association de votre choix. Avec le Don de Chaleur, on veut proposer la même chose mais au lieu d’accumuler des kilomètres, ce sont les kilowattheures évités qui permettent de récolter des dons.
Cela permet à nos participants de financer des projets associatifs qui leur tiennent à cœur, en même temps qu’ils réduisent leur facture énergétique. Les montants sont assez significatifs : un foyer de 4 personnes qui réduit son chauffage de 1°C et diminue son temps de douche de moitié peut économiser 100 euros sur l’hiver, et récolter le même montant en dons pour l’association de son choix. Le programme (les dons ainsi que nos coûts de fonctionnement) est financé grâce aux fournisseurs d’énergie partenaires. Concrètement, cela prendra la forme d’une application gratuite, disponible à partir de fin octobre.
Les économies d’énergies des particuliers sont mesurées en nous connectant au compteur communiquant de chaque participant : Linky pour l’électricité et Gazpar pour le gaz. Cela nous permet de mesurer la consommation d’énergie au jour le jour, et de la comparer à une consommation de référence calculée en fonction de la consommation des mois précédents et des variations météorologiques. Cela signifie que malheureusement, seuls les foyers équipés de compteurs Linky et/ou Gazpar pourront participer au dispositif Don de Chaleur. Cela n’empêchera néanmoins pas les autres de suivre nos différentes recommandations pour réduire leur consommation d’énergie.
Parmi les projets bénéficiaires, nous souhaitons d’abord soutenir des associations qui œuvrent contre la précarité énergétique : financement du “reste à charge” pour des travaux de rénovation énergétique, collectes et distributions de vêtements chauds, etc. Ça nous semble essentiel d’associer aux efforts de sobriété cette dimension solidaire. L’énergie est un bien commun : elle n’appartient à personne, tout le monde en a besoin, et il faut apprendre à la partager équitablement, tout particulièrement quand elle vient à manquer comme cet hiver.
Pour ceux qui souhaitent nous soutenir, vous pouvez rejoindre la communauté de Don de Chaleur en vous inscrivant sur notre site internet ou en nous suivant sur LinkedIn.