L’Afrique compte actuellement 1,4 milliard d’habitants, soit 18 % de la population mondiale. En 2050, la population d’Afrique atteindra 2,5 milliards d’habitants et de l’ordre de 4,4 milliards en 2100, soit plus de la moitié de la population mondiale actuelle. Aujourd’hui, les émissions de gaz à effet de serre de l’Afrique représentent moins de 4 % des émissions mondiales et 0,55 % pour les 48 États d’Afrique subsaharienne mais, au vu de la croissance de la population, la plus forte au niveau mondial, la croissance des émissions de l’Afrique jouera un rôle déterminant sur le bilan mondial.
L’Afrique est également le continent qui est déjà le plus touché par les dérèglements climatiques et le sera encore davantage dans l’avenir. La résilience et l’adaptation à ces changements sont une priorité de l’agenda climatique mondial reconnue dans les conclusions de la COP 27 en Égypte fin 2022.
Seul, un nouveau modèle de développement en Afrique assurant la croissance économique et s’appuyant sur des ressources faiblement carbonées pourra permettre de garantir un destin commun souhaitable entre l’Europe et l’Afrique. Le déficit d’activités productives et génératrices de revenus dans les zones rurales d’Afrique, là où la croissance de la population est la plus forte, génère un exode rural contribuant à la croissance urbaine non maîtrisée, à des mégapoles dépourvues de services essentiels et à des migrations internationales subies.
Les enjeux de l’accès à l’énergie en Afrique
En 2021, 759 millions d’habitants de la planète n’avaient pas accès à l’électricité dans le monde. Ce chiffre était de 1,7 milliard en 2000. Les progrès réalisés, essentiellement depuis 2012, ont permis le raccordement de nombreux foyers, surtout en Asie du sud-est, mais le taux d’accès à l’électricité reste faible en Afrique et plus particulièrement dans les pays d’Afrique subsaharienne où il n’est que de 43 %. En 2016, 590 millions d’habitants n’avaient toujours pas accès à l’électricité en Afrique subsaharienne. Depuis 2012, un tiers des personnes ayant été raccordées dans le monde sont alimentées par des énergies renouvelables (essentiellement du solaire photovoltaïque mais aussi de la petite hydraulique et de l’éolien) en raison de la baisse importante du coût de ces technologies. Toutefois la croissance démographique dans cette partie du monde n’a pas permis de réduire notablement le nombre de ménages n’ayant pas accès à l’électricité.
L’accès à l’énergie propre et durable ne se limite pas à l’accès à l’électricité. 38 % de la population mondiale, principalement dans les pays en développement, n’a pas accès à une source d’énergie moderne et durable pour la cuisson des aliments et a recours à des combustibles solides issus de l’exploitation non durable de la biomasse (bois de feu et charbon de bois) utilisés dans des foyers traditionnels peu efficaces. Cette pratique participe dans de nombreux pays à la déforestation et induit de nombreuses heures de récolte effectuées principalement par les femmes. Elle génère également des maladies respiratoires dues à la combustion conduisant à 2,8 millions de morts prématurées chaque année.
Les pays d’Afrique subsaharienne sont particulièrement concernés avec 780 millions de personnes, soit près de 80 % de la population, ayant recours à la biomasse traditionnelle pour la cuisson. En raison de la croissance de la population, le nombre de ménages en Afrique subsaharienne n’ayant pas accès à une énergie de cuisson propre a augmenté de 240 millions entre 2000 et 2015. L’impact de ces pratiques sur les émissions de gaz à effet de serre est également considérable puisqu’il ne s’agit pas d’une utilisation durable de la biomasse.
Le déficit d’activités productives et génératrices de revenus dans les zones rurales d’Afrique génère un exode rural
L’accès universel à l’énergie en Afrique est-il possible ?
L’objectif de développement durable N° 7 des Nations Unies (ODD 7) vise un accès universel à l’énergie d’ici 2030. Cet objectif sera difficilement atteint en Afrique subsaharienne, voire impossible à atteindre, compte tenu de l’impact de la pandémie COVID 19 et de celui de la guerre en Ukraine mais la baisse du coût des énergies renouvelables constatée depuis plus d’une dizaine d’années crée un nouveau paradigme économique où la production décentralisée d’énergie propre devient plus efficiente économiquement que la génération centralisée et basée sur les énergies fossiles.
L’accès à l’électricité contribue également à l’atteinte des autres objectifs de développement durable : lutter contre le changement climatique en promouvant un développement basé sur l’utilisation des énergies renouvelables mais aussi l’élimination de la pauvreté, de la faim en permettant de mécaniser les pratiques agricoles, l’irrigation, la conservation des aliments et de développer des activités génératrices de revenus, la santé avec l’électrification des centres de soins et la conservation des vaccins, l’égalité entre les sexes avec la réduction des corvées de bois pour les femmes.
Pour ce qui concerne l’accès à une énergie de cuisson propre, les foyers améliorés constituent une première option déjà diffusée à une relative grande échelle mais le coût reste un obstacle. Le GPL est une autre option qui se développe dans certains pays avec des subventions. Une autre option est l’utilisation de biogaz produit par des digesteurs à partir de résidus organiques. Enfin, l’utilisation de l’électricité avec une cuisson par induction est sans doute l’une des solutions les plus efficaces du point de vue de l’environnement si l’électricité est produite à partir d’énergies renouvelables. La plus grande difficulté réside dans l’investissement initial compte tenu du très faible niveau de revenus des populations concernées mais également dans la modification des pratiques de cuisson des aliments.
L’Agence Internationale de l’Energie (AIE) a réalisé en 2017 une étude sur les conditions de l’accès universel à l’énergie d’ici 2030, notamment pour les pays d’Afrique subsaharienne. Selon l’AIE, les politiques supposées être mises en œuvre dans les Contributions Déterminées au niveau National (CDN) formulées par les pays signataires de l’Accord de Paris sur le climat l’accès universel à l’énergie permettaient un accès généralisé à l’électricité presque partout dans le monde. Toutefois, la croissance de la population d’Afrique subsaharienne ne permettrait pas d’améliorer le taux d’accès dans cette région du monde, 600 millions de personnes resteraient sans accès à l’électricité en 2030 et 900 millions de personnes utiliseraient encore la biomasse traditionnelle comme moyen de cuisson, responsable de plus d’un demi-million de décès prématurés chaque année dûs à la pollution de l’air.
L’AIE a étudié les conditions pour atteindre en 2030 l’accès universel à l’énergie propre, y compris en Afrique subsaharienne : globalement, 454 milliards de dollars d’investissements pour l’accès à l’électricité en Afrique subsaharienne seraient nécessaires pour atteindre cet objectif, soit 45 milliards par an pendant 10 ans. Le coût pour une énergie de cuisson propre en Afrique subsaharienne est estimé à 24 milliards de dollars soit 2,4 milliards par an sur 10 ans. Ces chiffres peuvent être comparés aux 270 milliards de dollars annuels de subvention à la consommation d’énergies fossiles dans le monde.
L’accès à l’électricité renouvelable : un enjeu majeur de développement permettant de réduire les émissions de GES…
…et de contribuer à la résilience et l’adaptation des populations face aux désordres climatiques
Au-delà de son rôle en matière d’atténuation des émissions futures des pays africains, l’accès à l’énergie propre et décentralisée contribue à améliorer la résilience aux effets du changement climatique et à l’adaptation des populations concernées. L’accès à l’électricité en zone rurale est essentiel pour le fonctionnement des centres de soin (éclairage et conservation des vaccins notamment). La résilience de ces installations décentralisées recourant aux énergies renouvelables locales a été constatée lors de la pandémie COVID 19 face aux ruptures d’approvisionnement en combustibles fossiles. L’électricité permet également la mécanisation des pratiques agricoles, l’irrigation des cultures maraîchères et la conservation des aliments. 40 % de la production agricole d’Afrique est perdue en raison notamment de l’absence de chaîne du froid pour conserver les aliments. L’accès à l’électricité est l’une des conditions nécessaires à l’adaptation aux aléas climatiques et à leur impact sur la production agricole.
La réduction de l’utilisation traditionnelle de la biomasse pour la cuisson induirait une importante baisse des émissions de CO2
Les options d’électrification
L’option d’extension des réseaux centralisés trouve ses limites dans les zones peu denses où le coût de l’extension devient prohibitif au regard du faible nombre de foyers au km2 et de la faible consommation électrique par habitant en zone rurale. Par ailleurs, la quasi-totalité des compagnies d’électricité en Afrique qui gèrent ces réseaux sont en déficit structurel compte tenu du fait que les tarifs pratiqués ne couvrent ni les coûts d’exploitation, ni ceux d’investissement et cela d’autant plus que les prix des énergies fossiles augmentent au niveau international.
Les systèmes individuels (SHS) constituent une partie de la solution mais ne permettent pas de satisfaire des besoins de puissance visant un développement économique local et des activités génératrices de revenus et d’emplois.
Les mini-réseaux (minigrids) répondent aux besoins en zone rurale non connectée et peuvent apporter suffisamment de puissance pour des activités locales génératrices de revenus.
Selon ESMAP (Banque Mondiale, 2019)(1), la réalisation de l’objectif d’accès universel à l’énergie en 2030 supposerait notamment la construction de plus de 210 000 mini-réseaux d’ici à cette échéance au niveau mondial, afin de fournir l’accès à l’énergie à 490 millions de personnes, représentant un investissement de 220 milliards US$.
Actuellement, la rentabilité des mini-réseaux suppose que l’investissement initial soit subventionné à un niveau de l’ordre de 50 % en moyenne mais les perspectives de décroissance des coûts indiquent que cette subvention pourrait décroître par un effet de massification. Le Rocky Mountain Institute (RMI) estime que les coûts de production de l’électricité des mini-réseaux pourraient décroître de 50 % en passant de 0,60 US$/kWh à 0,30 US$/kWh grâce à une réduction attendue des coûts des équipements (panneaux photovoltaïques et batteries), à l’action sur la demande en stimulant les activités productives locales, à l’accès aux financements et à la régulation des États(2).
Si les investissements de production centralisée d’électricité disposent généralement d’un accès aux financements de la part des banques de développement et des banques commerciales et peuvent bénéficier des fonds internationaux dédiés au climat, il en va autrement des projets d’accès à l’énergie reposant sur des productions décentralisées, compte tenu du faible montant des investissements unitaires en jeu. Les projets soutenus par les banques de développement sont généralement des investissements supérieurs à la centaine de millions d’euros alors que les projets de génération décentralisée d’électricité sont de l’ordre de quelques millions d’euros, voire inférieurs.
L’accès à l’électricité est l’une des conditions nécessaires à l’adaptation aux aléas climatiques et à leur impact sur la production agricole
Un partenariat Europe – Afrique pour le financement de l’accès à l’énergie en Afrique
Lors d’une communication commune en juin 2021 à l’occasion de la publication du rapport sur les perspectives de l’accès universel à l’énergie les Nations Unies, la Banque Mondiale, l’Agence Internationale de l’Energie, l’IRENA et l’OMS dressaient un constat préoccupant : « Les flux de financements publics internationaux en direction des pays en développement pour promouvoir les énergies propres s’élevaient à 14 milliards de dollars en 2018, en recul de 35 % par rapport au montant record de 21,9 milliards de dollars enregistré l’année précédente. L’évolution globale des flux financiers publics a cependant été positive au cours des dix dernières années : si l’on considère une moyenne mobile sur cinq ans, ils ont triplé durant la période 2010-2018. Cette tendance cache pourtant des disparités distributionnelles importantes, les engagements financiers ne ciblant que quelques pays, au détriment de bon nombre de ceux ayant le plus besoin d’une aide internationale. Les 46 pays les moins avancés n’ont reçu que 20 % des flux financiers publics entre 2010 et 2018 et 2,8 milliards de dollars au total en 2018, comme en 2017, mais moins qu’en 2016 et 2015. Les flux financiers internationaux doivent être augmentés davantage et cibler de plus en plus les pays les moins susceptibles de réaliser l’ODD 7. Dans le contexte de la pandémie de COVID 19 qui a considérablement accru la sensibilité des investisseurs aux risques et réorienté les financements publics prioritaires dans les pays en développement, les flux financiers publics internationaux sont plus importants que jamais pour mobiliser les niveaux d’investissement nécessaires pour atteindre l’ODD 7 ».
Un plan Marshall Européen dans le domaine de l’accès à l’énergie en Afrique pourrait reposer sur un mécanisme de financement dédié au soutien des projets permettant d’accélérer les investissements dans le cadre d’un partenariat entre les deux continents
- une facilité publique assurant la garantie des investissements au regard des risques spécifiques auxquels font face les développeurs de mini-réseaux et contribuant à la péréquation des tarifs entre rural et urbain,
- un fonds privé rassemblant des investisseurs déjà présents dans différents domaines du développement qui seraient confortés par les garanties de la facilité publique.
En 2020, l’aide publique au développement de l’UE et de ses 27 États Membres a atteint 66,8 milliards d’euros représentant 0,50 % du revenu national brut, l’engagement pris étant de porter cet effort à 0,7 % du RNB d’ici 2030 (soit environ 94 mds €/an)(3).
Le mécanisme d’accès à l’énergie en Afrique pourrait ainsi être doté d’une part de subventions provenant de la Commission Européenne sous forme d’une facilité qui servirait notamment à garantir les investissements et d’autre part d’investissements privés, notamment d’investisseurs privés européens. Le fonds privé pourrait ainsi offrir des prêts à des taux d’intérêt permettant la mise en œuvre des projets d’accès à l’énergie grâce aux garanties apportées par la facilité.
L’une des formes d’intervention pourrait consister à financer la péréquation des tarifs entre les zones rurales et urbaines comme cela est expérimenté au Sénégal. Cette péréquation a permis, dans les pays développés et notamment en France, de promouvoir l’accès à l’électricité des ménages ruraux.
La mise en œuvre des projets d’accès à l’énergie suppose que ces projets prennent en compte les spécificités locales et, à ce titre, l’implication des collectivités locales et des organisations non gouvernementales disposant d’une expérience depuis de nombreuses années sur le terrain est essentielle. La facilité publique devra ainsi apporter un soutien significatif à l’assistance technique, au renforcement des capacités des cadres des collectivités et à la sensibilisation de la société civile en matière d’usages de l’énergie.
(1) ESMAP : Minigrids for half a billion people Banque Mondiale, 2019.
(2) Rocky Mountain Institute : Power a Village, transform a nation, RMI 2017.
(3) Communiqué Commission Européenne 13 avril 2021 : https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_21_1701