L’annonce, le 5 avril, par la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) indiquant un record de la température moyenne des océans à 21,1 °C amenait le climatologue membre du GIEC, Christophe Cassou, à dire : « Le CO2 s’accumule dans l’atmosphère et l’océan stocke année après année la chaleur induite par l’effet de serre additionnel dû à l’influence humaine. Le record de température en ce début d’avril alors qu’El Niño n’a même pas commencé est inquiétant. 2023 s’annonce extrême ».
Et pour le mois de mai, 2023 enregistre le nouveau record de réchauffement des océans vient d’indiquer l’Agence européenne d’observation de la terre, Copernicus. Pour cette période, la température est supérieure de 0,26 °C à la température moyenne 1991–2020. La planète est en état de fièvre. Comme pour le corps humain, quelques dixièmes de degré suffisent à passer d’un état normal à un état de fébrilité. Que va-t-il se passer avec l’arrivée d’el Niño ?
Depuis un certain temps, la Niña et el Niño sont devenus des personnages de notre environnement sans pour autant bien les connaître. Il faut dire qu’ils résident dans le lointain Pacifique. Le plus connu de ces courants marins, el Niño, est découvert vers 1920 par le physicien anglais Gilbert Walker. Les pêcheurs péruviens le nomment ainsi ; cet « enfant » terrible étant à son apogée dans la période de la nativité de l’enfant Jésus. Ce phénomène de dérèglement atmosphérique cyclique illustre bien l’interaction atmosphère-océan. Cependant, il reste beaucoup à découvrir pour la comprendre. Les répercussions de ce phénomène se font sentir bien au-delà de cette zone océanique, elles sont planétaires.
Encore moins bien connue, la Niña, produit un effet inversé. Les températures baissent. Et pourtant, le record de réchauffement des océans vient d’être enregistré alors que nous sortons de la phase de la Niña. Le précédent record de 2016 était sous el Niño. C’est bien ce qui est inquiétant.
L’océan est une pompe à énergie. Près de 93 % du surplus de chaleur produite par le réchauffement climatique depuis 50 ans est stocké dans les océans. Cette problématique est récente dans l’étude du changement climatique, la recherche était peu engagée sur le sujet. Depuis 2010, tout s’est accéléré. En 2019, le GIEC publiait un rapport spécial sur L’océan et la cryosphère dans le contexte du changement climatique.
Pièce maîtresse du système climatique terrestre, les océans sont à l’origine du cycle des précipitations (pluie, neige, grêle) et agissent comme un thermostat. Sans eux, le réchauffement serait bien plus intense. Les scientifiques constatent déjà une augmentation à la fois de la fréquence et de l’intensité des précipitations en Europe et en Amérique du Nord. Pour le scénario maintenant évoqué de +4 °C pour la fin de ce siècle en France, ils craignent de voir se multiplier fortement les précipitations extrêmes en Europe et dans les régions tropicales humides. En revanche, le bassin méditerranéen et les zones subtropicales subiront une augmentation de la fréquence et de l’intensité des sécheresses. L’échauffement des océans va rendre plus intenses et plus puissantes les tempêtes, devenant alors des ouragans en Atlantique Nord et Pacifique Nord-est, des cyclones dans l’océan Indien et le Pacifique Sud. La probabilité qu’ils atteignent les catégories 4 ou 5 sur l’échelle de Saffir-Simpson va augmenter(1).
Ce début juin, cinq chercheuses et chercheurs publient une communication alertant sur la disparition prochaine de la glace d’été de l’océan Arctique. Cet évènement interviendrait une décennie plus tôt que les projections du GIEC. L’un d’eux, Dirk Notz déplore que « les scientifiques ont alerté sur cette disparition pendant des décennies sans être écoutés. Maintenant, c’est trop tard ! ». La disparition de cette banquise estivale risque d’augmenter les évènements météorologiques extrêmes dans les latitudes moyennes de l’hémisphère nord. La perte de cette surface blanche va aussi accélérer le réchauffement de l’océan, entraînant celui de l’atmosphère arctique. Jean-Claude Gasgard, directeur de recherche en océanographie, disait au retour de la première expédition de Tara (2006-2008) que la porte du congélateur Arctique était maintenant ouverte et que le grand bloc glacé du Groenland allait décongeler inéluctablement. Depuis 2012 pour le Groenland, chaque année présente un profil des surfaces de glaciers touchées par la fonte bien supérieur à la période de référence 1981-2010.
Cette eau douce passant de l’état solide à l’état liquide s’écoule vers l’océan et contribue à la hausse du niveau des mers. Au regard du scénario actuel, la montée des océans à l’horizon 2100 serait d’environ 85 centimètres, avec une incertitude de plus ou moins 25 centimètres. Actuellement, cela va vers « plus ». Cette élévation prend en compte la dilatation des océans induite par le réchauffement et l’apport d’eau glacière. Mais elle n’intègre pas, pour le moment, les potentiels apports de l’Antarctique.
Pour la France, actuellement 864 communes sont concernées par cette montée des eaux marines. Nombre d’élus de ces localités abordent difficilement le problème. Il y a deux raisons principales à cela. La première est leur manque de formation et de soutien technique pour affronter les inquiétudes des populations impactées. La seconde est leur crainte des coûts à engager pour l’adaptation et une lisibilité peu évidente de l’engagement de l’État. L’élaboration de Stratégie locale de gestion durable de la bande côtière prend cependant peu à peu forme. Cette stratégie conçue après le drame de la tempête Xynthia présente une élévation de 60 centimètres du niveau de la mer d’ici à 2100. Clairement, elle n’est malheureusement plus à jour. La faire évoluer se confronte aux difficultés d’acceptation par les populations concernées. Le déni demeure une réalité. Il est difficile de penser quitter un lieu que l’on chérit, de voir dévaluer son bien immobilier… Le désir de rivage demeure fort. Dans sa thèse publiée en janvier 2023(2), Eugénie Cazaux indique : « … le poids des aménités littorales semble continuer à plus que compenser d’éventuelles décotes de valeur associées aux aléas côtiers ».
Le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) a réalisé une carte interactive précise des zones impactées en fonction du niveau de montée. Ses projections n’intègrent pas les protections naturelles et artificielles existantes.
Les zones basses, aujourd’hui protégées, se retrouvent, elles aussi, face au risque. À la montée des eaux vient s’ajouter l’érosion. L’élévation augmente l’érosion, mais le phénomène reste à préciser. Le réchauffement augmente aussi la puissance des vagues et, en conséquence, celle de la houle. Elle se forme au large à partir de vagues créées par le vent. Elle s’amplifie au voisinage des côtes, notamment sur les hauts-fonds (faibles profondeurs) et peut alors atteindre plusieurs mètres. En déferlant, elle grignote et arrache les sédiments.
Alors se pose et se posera crucialement l’interrogation suivante : protection ou repli ?
Actuellement, faute de vision claire de l’État, les collectivités se retrouvent bien seules. Les intercommunalités portent la compétence de la gestion et de l’entretien des ouvrages de protection contre les inondations. La taxe pour la gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (GEMAPI) est un levier pour le financement des protections. Divers compléments nationaux existent, mais comme bien souvent, il est laborieux de les mobiliser. Pour lutter contre l’érosion, les élus se retrouvent encore plus isolés, l’État renâclant à engager des financements. Pour des retraits incontournables, actuellement le fonds Barnier (fonds de prévention des risques majeurs) permet d’acheter des biens ou d’indemniser des propriétaires soumis au risque d’inondation ou de glissement de terrain. Mais cela reste exceptionnel.
En 2019, face à l’inexistence d’une véritable politique publique sur ce sujet, le député vendéen Stéphane Buchou s’emparait du problème et publiait le rapport Quel littoral pour demain ? Vers un nouvel aménagement des territoires côtiers. Il y proposait la création d’une taxe sur les transactions immobilières en zone littorale pour financer les projets de relocalisation des espaces construits. Toutes ses propositions méritaient d’être étudiées pour préparer une loi spécifique. Malheureusement, elles ne feront pas l’objet d’une approche systémique et seront diluées dans la loi Climat.
Pas de politique suffisamment offensive pour l’atténuation, peu de moyens pour l’adaptation et la mer monte. « Quand la mer monte, j’ai honte »(3) merveilleusement chantée par Raoul de Godewarsvelde dit poétiquement tout autre chose. Mais il pourrait dire la honte de nos gouvernants à ne pas répondre rapidement et efficacement à l’obligation d’atténuation et d’adaptation au changement climatique.
(1) 1: vents de 119 à 153 km/h; dégâts mineurs à moyens | 2: vents de 154 à 177 km/h; gros dommages en bord de mer; arbres arrachés | 3: vents de 178 à 209 km/h; graves dégâts aux petites constructions en bord de mer; toits arrachés | 4: vents de 210 à 249 km/h; graves dégâts sur la côte et à l’intérieur | 5: vents supérieurs à 249 km/h; phénomène rare qui peut faire s’effondrer des immeubles.
(2) La prise en compte des risques côtiers par les marchés fonciers et immobiliers du littoral français métropolitain : ambivalence de la mer et tentatives de régulation publique du « désir de rivage » à l’aube du changement climatique par Eugénie Cazaux.
(3) Jean-Claude Darnal (1968).