À l’occasion du 24e colloque du Syndicat des Énergies Renouvelables (SER) qu’il a présidé pendant douze ans, Jean-Louis Bal a reçu des mains de Jean Jouzel et de Jules Nyssen, actuel Président du Syndicat, le Trophée des Énergies Renouvelables. Depuis 2003, ce trophée récompense une personnalité, une entreprise, un organisme, une collectivité territoriale ou une nation qui œuvre pour le développement des Énergies Renouvelables.
Lors de cet évènement, Jean-Louis Bal, aujourd’hui Président d’Agir pour le climat, s’est exprimé et a rappelé ses engagements dans la lutte contre le changement climatique qui illustrent les fondamentaux d’Agir pour le climat. Nous vous proposons de découvrir son discours.
« Je tiens d’abord à remercier le SER pour m’avoir choisi pour ce trophée 2023, mais surtout pour le travail collectif accompli ces 12 dernières années. J’associe volontiers l’ADEME à ces remerciements car j’ai bénéficié, pendant les 18 ans précédant ma présidence du SER, du soutien de cette belle institution.
Je suis particulièrement honoré de recevoir ce trophée des mains de Jean Jouzel, un homme que j’admire et qui est devenu un ami au fil du temps. Je l’ai connu au travers de ses premiers écrits sur le climat en 1987, associé au regretté Claude Lorius. Je l’ai effectivement rencontré lors du Grenelle de l’Environnement en 2007 mais c’est en 2015, lorsqu’il a pour la première fois accepté d’intervenir au Colloque du SER, que j’ai vraiment commencé à faire sa connaissance et à l’apprécier à sa juste valeur.
Je ne vous cache pas que j’échangerais volontiers tous les hommages personnels, comme celui d’aujourd’hui, contre l’atteinte par la France des objectifs climatiques qu’elle s’est elle-même assignés, en particulier celui du déploiement des Énergies Renouvelables.
Je profite de cette tribune pour m’associer, mon cher Jean, à ton récent “coup de gueule” suite à ta participation à l’université d’été du MEDEF. Moi aussi, j’en ai marre de la procrastination des pouvoirs publics et des grandes entreprises du secteur des énergies fossiles devant l’urgence climatique. Comme vient de le rappeler Valérie Masson-Delmotte, pour respecter l’accord de Paris, il faut arrêter tous nouveaux projets d’extraction de combustibles fossiles et se contenter d’exploiter jusqu’à leur terme les installations existantes. C’est une recommandation de l’Agence Internationale de l’Energie. Or, on recense aujourd’hui plus de 300 nouveaux projets d’extraction, toutes énergies fossiles confondues. Tant qu’il y aura de la demande pour les fossiles, ces entreprises feront passer la rémunération de leurs actionnaires avant la lutte contre le dérèglement climatique. Le capitalisme est myope. Il ne voit que le court terme.
Le constat est là : le capitalisme est incapable, totalement incapable, de gérer la crise climatique.
Faut-il dès lors renverser le capitalisme ? Ce ne serait pas très réaliste mais il faut que la puissance publique change les règles du jeu. Collectivités territoriales, États et Union Européenne doivent établir de façon ferme ces nouvelles règles : réglementation, prix des émissions de CO2 et justice sociale entre autres choses. Et éviter, l’arsenal de dérogations qui permet aux différents lobbys de perpétuer l’ancien monde.
L’expérience récente nous montre que, si les autorités publiques imposent de nouvelles règles, les résultats sont rapidement probants. C’est ce qui a été fait dans de nombreux pays pour favoriser le déploiement des énergies renouvelables. Selon l’AIE, en 2022, il y a eu une décorrélation entre la croissance des émissions de Gaz à effet de serre (+1 %) et la croissance du PIB mondial (+3,8 %). L’analyse de l’AIE est que cette moindre croissance des émissions est due au fort développement des EnR suite aux réglementations et incitations mises en place dans de nombreux pays, particulièrement dans l’Union Européenne. Il faut maintenant faire de même dans tous les secteurs émetteurs de GES, pas uniquement pour les émissions de CO2 : les transports, l’industrie, les bâtiments et l’agriculture. Je souhaite que le Green Deal européen et la Planification Écologique française répondent à ce besoin de nouvel encadrement économique. En tant que Président d’Agir pour le climat, je serai particulièrement vigilant sur le secteur du bâtiment et je recommande que la stratégie française ne se limite pas à coller des pompes à chaleur sur des bâtiments insuffisamment isolés.
Pour aller plus loin, nous devons convenir que l’accord de Paris ne suffira pas. La France et l’Union Européenne doivent porter et soutenir l’élaboration d’un traité de non-prolifération des énergies fossiles.
Un autre grand message que je voudrais porter aujourd’hui est que le nucléaire, très peu émetteur de CO2, ne suffira pas à résoudre nos problèmes énergétiques et climatiques, contrairement à ce que pensent une majorité de nos parlementaires. J’ai bien suivi les débats à l’Assemblée Nationale et au Sénat lors de la discussion du projet de loi sur l’accélération des Énergies Renouvelables et force est de reconnaître que l’idée de l’opposition des EnR et du nucléaire est encore très répandue dans les 2 chambres. Pour rappel, le nucléaire, c’est aujourd’hui au mieux 20 % de la consommation d’énergie finale en France. Le Bilan Prévisionnel 2035 publié récemment par RTE montre bien que la transition énergétique reposera bien à cette échéance sur la sobriété, l’efficacité énergétique, le déploiement massif des EnR et l’optimisation du fonctionnement du parc nucléaire existant.
Arrêtons donc les stériles polémiques jancoviciennes qui nous font perdre beaucoup de temps dans la difficile transition énergétique et dont s’abreuvent les partis de droite et, surtout, d’extrême droite. Et n’oublions pas que, même après une volontariste électrification des usages, il restera 45 % de notre énergie qu’il faudra satisfaire majoritairement avec des EnR : géothermie, biomasse solide, gaz renouvelable et solaire thermique.
Je voudrais maintenant vous dire un mot sur la douloureuse question de l’immigration. Quel rapport me direz-vous avec les énergies renouvelables ? Le débat politique de ces derniers jours s’est limité à la gestion de ces migrants arrivés en Méditerranée : faut-il les laisser se noyer ? Renvoyer dans leur pays ceux qui ont réussi la traversée ? Le Pape François a, heureusement, apporté un peu d’humanité à ce débat. Mais personne ne s’est demandé quelle était la raison profonde de ce flux migratoire qui n’a aucune raison de diminuer dans les années à venir. La réalité est que la grande majorité de ces migrants sont des réfugiés climatiques. Les pays du Sud, notamment africains, sont les premiers touchés par le dérèglement climatique et, pour beaucoup de ruraux africains, les conditions de vie ne sont simplement plus soutenables. Au moment où dans nos pays développés, les stratégies d’adaptation se mettent en place, l’Afrique n’a pas les moyens de s’adapter. L’Union Européenne a largement les moyens de proposer à l’Afrique de mettre en place un grand programme d’adaptation avec un important volet de développement économique des zones rurales. Ce développement économique aura un indispensable volet d’accès à l’énergie pour lequel les Énergies Renouvelables seront essentielles comme le démontrent quotidiennement les ONG, notamment françaises, implantées en Afrique.
Enfin, je voudrais terminer sur une note très personnelle. Dans les heures qui viennent, je vais devenir grand-père pour la 3e fois. Outre le bonheur que cet évènement va me procurer, je peux vous assurer que cette naissance ne fera que décupler ma motivation à participer à préserver l’avenir des générations qui nous suivent.
Merci à toutes et tous. »