Nicolas Desquinabo, expert en évaluation des politiques publiques de transition écologique, s’est livré pour nous à l’analyse critique des + 7 milliards d’euros que le gouvernement a annoncé consacrer au climat dans son budget 2024. Entre dépenses déjà engagées et transferts, iI en ressort que la hausse ne représente en réalité que 2 milliards d’euros, soit une augmentation de 6 % par rapport aux 34 milliards de 2023. En euros constants, l’État ne mettra donc quasiment pas plus d’argent sur la table l’année prochaine pour la transition écologique.
Sur les + 7 Mds € (milliards d’euros) annoncés pour le budget 2024 (1), un premier examen indique qu’au moins 3,5 Mds € relèvent de dépenses déjà engagées ou de transferts entre budgets publics. À ces « transferts » s’ajoute une comptabilisation de dépenses parfois sans lien avec la transition écologique ou sans prise en compte de l’évolution des prix de l’électricité et du gaz depuis 2021.
Au final la hausse « nette » des dépenses publiques de soutien aux investissements écologiques est en réalité quasi nulle en euros constants, même si des précisions restent à apporter par le gouvernement sur certains soutiens. Plus globalement, le niveau et l’évolution des dépenses défavorables (dites « brunes » ou « pro-fossiles ») sont également à prendre en compte pour préciser le « solde » dans chacun des secteurs.
Sources : Projet Annuel de Performance (PAP) Écologie 2022, 2023 et 2024 (notamment Programmes. 203, 174 et 345), Budget vert 2023, France 2030 (P 424) Plan de relance (Écologie) et Bilans Anah, CEE 2022, CSPE 2022–2023 et LOM.
* Budget total dont MPR Sérénité et Copros provenant des missions Écologie, Relance et Habitat, soit un budget de 4 Mds en 2023 dont 3,5 Mds pour les MPR. Les + 1,6 annoncés sont des engagements et non des crédits à verser (+ 0,5).
** Dont fonds de concours mais hors autofinancements par les dividendes de SNCF Voyageurs.
*** Dont soutiens de l’État aux mesures agro-environnementales, à la gestion durable de la forêt et à la filière bois.
Plusieurs hausses liées à des soutiens déjà engagés ou à des baisses en 2023
Les + 1,5 Mds € annoncés pour l’« industrie verte » relèvent de moyens déjà engagés depuis 2020-2021 par le plan France 2030 (voir p.10-12). Il ne s’agit donc pas de moyens supplémentaires, mais d’un déploiement progressif de crédits déjà engagés par l’État (54 Mds € sur 5 ans dont 27 Mds € pour la « décarbonation ») et déjà annoncés en 2021. Par ailleurs, l’impact écologique « favorable » des projets industriels soutenus est parfois douteux (ex. SUV hybrides et agro-robotique) et souvent peu vérifiable, qu’il s’agisse d’avion du « futur » ou de décarbonation des industries lourdes (5,6 Mds € prévus sur 5 ans).
Comme pour l’industrie, les + 0,7 Md € pour la production d’hydrogène sont des moyens déjà prévus depuis 2020. Surtout, il ne s’agit pas d’une augmentation de + 0,7 Md € car 2 Mds € avaient déjà été engagés sur 2021-2023 dans le cadre du plan de relance. Suite à ces engagements, de nouveaux appels d’offres ont été lancés en 2023, avec des besoins de crédits pour 2024 déjà annoncés dans le PLF 2023 (p. 428).
Par ailleurs, les + 0,7 Md € annoncés pour le soutien au biométhane s’expliquent principalement par la baisse du prix du gaz (voir Commission de régulation de l’énergie (CRE) 2023 p. 3 et 16-17). Comme pour les énergies renouvelables électriques, le soutien au biométhane compense l’écart avec les prix de marché, en l’occurrence du gaz. Or les prix de gros prévus pour 2024 sont inférieurs à ceux prévus pour 2023, ce qui entraîne une hausse apparente de 0,7 Md des dépenses prévues entre les PLF 2023 et 2024, mais cette hausse n’est en réalité que de 0,1 Md € selon la CRE.
Plus globalement, les variations des prix de gros ont entraîné une baisse de 6 Mds €/an des soutiens aux énergies renouvelables depuis 2021. Le coût de production de l’éolien étant très inférieur au prix de marché de l’électricité, son « soutien » est même devenu une recette reversée à l’État de 2,5 Mds en 2022, 4 Mds en 2023 et 3 Mds prévus en 2024. En prenant en compte les recettes tirées des soutiens aux énergies renouvelables électriques, les dépenses « nettes » de l’État pour la transition sont donc en réalité en baisse depuis 2021.
Quelle hausse globale des moyens pour les bâtiments et pour quelles rénovations ?
Les + 1,6 Mds € annoncés pour Ma Prime Rénov (MPR) restent à préciser sur plusieurs points. Les crédits de l’État prévus pour l’Anah augmentent plutôt de 0,3 Md (voir PAP Cohésion p. 72 et Relance p. 34 et 31 pour 2023) et une partie de cette augmentation concerne des travaux « non énergétiques » (autonomie des personnes âgées et sécurité des copropriétés). Les « autorisations d’engagement » (de dépenses qui pourront être versées après 2024) augmentent certes davantage (+ 0,8 Md), mais pas non plus de 1,6 Mds (2). L’écart pourrait venir de moyens extra-
budgétaires, en particulier l’utilisation directe de Certificats d’Économies d’Énergie (CEE) par l’Anah. Cette nouveauté pourrait permettre de simplifier ce système d’aides, mais il ne s’agirait alors que d’un transfert d’un budget à l’autre. Dans tous les cas, le budget total dédié aux rénovations énergétiques et la partie accordée aux rénovations « performantes » ne seront connus qu’après le vote du budget de l’Anah en fin d’année.
Au-delà des montants globaux il est à noter que les enveloppes accordées au pilier « performance » risquent de ne pas être dépensées si les restes à charge sur ces opérations restent très supérieurs à ceux des changements de chaudières, actuellement nettement mieux aidés malgré de fréquentes hausses des factures énergétiques (lorsque des PAC sont installées dans des logements peu isolés) et des fraudes et malfaçons constatées dans 20 à 50 % des travaux « simples » aidés (voir Bilan CEE p. 17-20, UFC et Society août 2023).
Alors qu’il est annoncé + 0,6 Md € pour les bâtiments de l’État (sur plusieurs années, dont + 0,3 Md pour 2024), les crédits 2024 sont en réalité stables qu’il s’agisse du programme 348 (qui concerne surtout le plan de 1 Md € pour les cités administratives lancé en 2018) ou du plan lancé en 2020 qui prévoyait 2,7 Mds € de travaux à réaliser d’ici 2024 dont la moitié pour les universités. Au-delà de ces dépenses déjà engagées, un nouveau plan de rénovations globales doté de 300 M d’euros est annoncé à partir de 2024, mais ce montant est donc 3 à 9 fois inférieur à celui des deux plans précédents. De plus, ces montants comptent également les travaux non énergétiques (ex. électricité, amiante, restructurations, etc. voir les appels à projet), qui représentent plus de la moitié des enveloppes.
Autre annonce centrée sur la rénovation des bâtiments publics, l’augmentation de 0,5 Md € du « Fonds Vert » ne va pas compenser la baisse des dotations « réelles » aux collectivités. Les concours financiers aux collectivités passent seulement de 53 à 54 Mds € alors qu’ils auraient dû augmenter d’au moins 3 Mds € compte tenu de l’inflation. Or les collectivités mobilisent également ces dotations générales ou spécifiques pour leurs investissements « verts », dont notamment la rénovation de leurs bâtiments publics, qui était déjà soutenue par l’État à hauteur de +/- 200 M € par an depuis 2021 (3) via le plan de relance.
Des augmentations qui ne compensent qu’en partie la baisse de 2,4 Mds € des crédits écologie du plan de relance
Au-delà des bâtiments de l’État et des collectivités, de nombreuses dépenses annoncées en hausse ne sont qu’un transfert des crédits « Écologie » du plan de relance, qui baissent de 2,4 Mds en 2024.
Par exemple, sur les + 0,7 Md € annoncés pour la « transition agricole », la grande majorité sont des crédits précédemment versés via le plan de relance et transférés au programme « compétitivité agricole » (diagnostics, haies, plan protéines, agroéquipements, etc.).
D’autres budgets sont également des transferts de crédits « biodiversité » du plan de relance, en particulier les 300 M € de soutiens au recyclage des friches (voir PAP Écologie p. 529). Ces crédits étaient même globalement plus élevés en 2022, y compris hors aide aux « maires bâtisseurs ».
Une augmentation des moyens de l’État pour les transports inférieure à l’inflation et aux besoins « officiels »
Sur les + 1,2 Md annoncés pour le ferroviaire et les transports collectifs, seuls + 0,2 Md sont effectifs par rapport à la loi de finance 2023. L’écart global affiché est d’environ 1 Md (voir p. 57 du PLF 2024 + plan de relance), mais cette augmentation est principalement due à la captation des dividendes (en hausse) de la SNCF. Il ne s’agit donc pas réellement d’une hausse des dépenses de l’État mais d’un autofinancement des efforts de régénération du réseau par son opérateur, déjà prévue depuis 2018 (voir Sénat 2023 p. 34-35) et diminuée en 2021-2023 en raison de la crise du Covid. L’ensemble (complexe) des moyens de l’État pour le ferroviaire et les transports collectifs seront à vérifier suite au vote du budget de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) en fin d’année (4).
Dans tous les cas, l’évolution des moyens pour le ferroviaire est à mettre en perspective avec les prix du secteur qui ont augmenté de + 20 % entre 2020 et début 2023. Dans ce contexte, une hausse de + 20 % des soutiens publics équivaut à une stabilisation des moyens « réels » (en euros constants). Or cette question des moyens réels est essentielle pour le ferroviaire : les derniers rapports du Conseil d’Orientation des Infrastructures (COI) et de l’Autorité de régulation des transports (ART) ont encore souligné que la légère hausse prévue des moyens pour les investissements sur le réseau ferré est en réalité une baisse des moyens réels compte tenu de la forte inflation des travaux publics depuis 2021. Surtout, les soutiens publics aux investissements ferroviaires doivent rapidement passer de 2-3 à 5-6 Mds d’euros par an selon le rapport de l’ART et ces moyens sont en « euros 2021 ». On en est encore très loin.
Des confusions majeures sur les investissements favorables… et défavorables
Au-delà de la question de la hausse des dépenses de l’État « favorables » à la transition écologique, il faut souligner que ces dépenses ne correspondent pas aux + 30 à 35 Mds/an d’investissements publics supplémentaires évoqués dans les rapports de Pisani-Mahfouz ou de l’Institut Rousseau. Dans son approche très large du budget « vert », l’État comptabilise en effet les personnels des ministères (1,8 Md en 2023), les soutiens à des dépenses d’exploitation (comme les 2,7 Mds pour les TER et TET), une partie de l’aide au développement (2,2 Mds) ou encore la recherche publique dans les domaines environnement/énergie (5 Mds).
Pour les seuls soutiens aux investissements, la question de leurs impacts est également à poser. En particulier, les « bons chiffres » des émissions de GES de début 2023 s’expliquent à plus de 50 % par la chute libre de la production des industries intensives en énergie (acier, ciment, verre, chimie) déjà soulignée par l’Insee (p. 27-28). Or cette chute n’est pas du tout une bonne nouvelle dans la mesure où les délocalisations et importations augmentent et qu’elles proviennent de pays dont l’énergie est nettement plus carbonée qu’en France. Autre « fuite de carbone » en progression, les importations d’électricité venant surtout d’Allemagne et d’Espagne, elles changent tout à la trajectoire carbone du pays : même avec l’estimation basse de RTE des émissions importées (voir p. 22 vs. 17), la France passe de – 2,7 % de GES en 2022 à environ + 1 %. En diffusant massivement le chauffage électrique dans des maisons peu isolées, la politique actuelle de promotion des PAC risque de fortement aggraver ce transfert d’émissions (et de dépendance) vers l’étranger.
Enfin, les soutiens publics plus ou moins favorables à la « transition » sont surtout à comparer aux soutiens favorables aux énergies fossiles. Or les soutiens aux fossiles restent très supérieurs à ces 25 à 40 Mds de dépenses « vertes », si l’on ajoute aux dépenses fiscales « brunes » reconnues par l’État (10 Mds/an) et aux boucliers tarifaires (encore 15 Mds prévus en 2024 (5)), les exonérations du kérosène (plus de 6 Mds/an (6)), les soutiens à l’agriculture intensive (environ 10 Mds par an (7)) et la sous-tarification des routes pour les camions (au moins 15 Mds/an). Si l’avion, le fret routier, le gaz et l’agro-industrie restent moins coûteux grâce à des soutiens publics, comment espérer doubler en quelques années le ferroviaire, les rénovations performantes et l’agro-écologie ?
(1) Le gouvernement ajoute parfois 3 Mds € à ces + 7 Mds €, en intégrant les dépenses pluriannuelles, par exemple pour l’adaptation des forêts, la rénovation des bâtiments de l’État ou les SER métropolitains.
(2) L’action « Accompagnement transition énergétique » (qui inclut MPR et le chèque énergie) est même en baisse depuis la loi de finance initiale de 2023 qui était supérieure de 700 M au PLF 2023, sans précision sur cet écart. Or les comparaisons entre années se font avec les lois de finance précédentes et non avec les projets de loi (voir le PLF 2024 à partir de p. 370).
(3) Comme pour les bâtiments de l’État, ces montants incluent également des travaux non énergétiques. Par exemple, seules 30 à 40 % des dotations aux rénovations locales ont concerné les travaux énergétiques selon le rapport sur les bâtiments scolaires (p. 68-69), qui juge « très décevants » les résultats du Grand Plan d’investissement.
(4) Le budget 2023 de l’agence avait intégré d’autres financements non retracés par le PLF (ex. Eole ou le Lyon-Turin).
(5) Comme souligné par la note de la Cour des comptes de 2023 : « les mesures défavorables à l’environnement ont été prises, en particulier la remise sur les carburants, qui font évoluer fortement la cotation prévisionnelle, la part des dépenses défavorables à l’environnement passant de 17 % à 39 % ».
(6) L’exonération du kérosène pour l’ensemble de l’aviation représente un avantage d’au moins 6 Mds/an, bien supérieur aux 3,6 Mds souvent mis en avant, voir I4CE 2019 p. 27.
(7) Aides à l’hectare des productions intensives et réductions sur le gazole récemment complétées par le faux label « Haute Valeur Environnementale ».