La Banque mondiale a publié fin mai son rapport annuel sur l’état de la tarification carbone à travers le monde. Pour la première fois, les revenus mondiaux issus de la tarification carbone ont dépassé 100 milliards de dollars. Une partie de ces revenus pourrait être utilisée pour compenser son impact financier sur les citoyens, sous forme d’un “versement climat”. Une telle redistribution est déjà en place au Canada, en Suisse, en Autriche et bientôt en Allemagne.

104 milliards de dollars. C’est le montant qu’a rapporté la tarification carbone à travers le monde en 2023. Tous les ans, la Banque mondiale publie un état des lieux de la tarification carbone, et anticipe ses futures évolutions. La dernière version du rapport, publiée mardi 21 mai 2024, est riche d’informations.

Appliquée par de plus en plus de pays, la tarification carbone consiste à mettre un prix explicite sur les émissions de gaz à effet de serre. Malgré l’impact sociétal qu’ont ces émissions à travers le changement climatique, elles demeurent gratuites en l’absence d’une tarification carbone. La tarification carbone permet de favoriser la sobriété, l’efficacité énergétique et d’accélérer le développement des alternatives bas-carbone comme les pompes à chaleur, les véhicules électriques, la géothermie, le train, les énergies renouvelables, et bien d’autres.

Qu’en disent les experts ? Est-ce une mesure vraiment utile pour réaliser la transition écologique ? Dans son dernier rapport, le GIEC souligne bien que la tarification du carbone est un levier efficace pour réduire les émissions : “Il y a une abondance de preuves que la tarification carbone réduit les émissions” (1). Cependant, le rapport précise que “même si la couverture [de la tarification carbone] a augmenté pour atteindre plus de 20 % des émissions globales, l’étendue de la couverture et le prix du carbone sont plus bas que ce qui est nécessaire pour une diminution drastique des émissions” (2).

Actuellement, il y a plus de 75 initiatives de tarification carbone (taxe carbone ou marché carbone) réparties et mises en œuvre dans plus de 40 pays. Au total, ces 75 mécanismes couvrent 24 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Ce pourcentage de couverture est en rapide augmentation. Il y a 10 ans, à peine 7 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales étaient couvertes. Il y a 20 ans, c’était moins de 1 % ! Plusieurs pays sont en voie d’appliquer une tarification carbone, comme le Brésil, l’Inde, le Chili, la Colombie et la Turquie.

Cependant, le rapport souligne que le prix du carbone est encore bien souvent trop bas. Moins de 5 % des émissions mondiales sont couvertes par une tarification supérieure à 64 € par tonne de CO2e. Or, selon les experts de la Commission de haut niveau sur les prix du carbone (High-Level Commission on Carbon Prices), il faudrait un prix global du carbone autour de 75 € par tonne de CO2e à l’horizon 2030 pour respecter l’Accord de Paris et contenir le réchauffement climatique en dessous de 2° C d’ici la fin du siècle.

Comparé aux deux superpuissances économiques que sont les États-Unis et la Chine, l’Union européenne est championne en la matière. Son marché carbone, appelé système d’échange de quotas d’émission (SEQE), a été implémenté en 2005, et couvre les centrales électriques, les sites industriels polluants et l’aviation. Le “Pacte vert” européen prévoit son extension au transport maritime et à l’incinération des déchets. De plus, le commencement d’un nouveau marché carbone européen ciblant le secteur routier et le bâtiment est prévu pour 2027. Ainsi, l’UE sera la première superpuissance économique à couvrir plus de 75 % de ses émissions de gaz à effet de serre territoriales avec une tarification carbone.

Pour protéger les entreprises européennes d’une concurrence déloyale, une taxe carbone aux frontières va aussi être progressivement mise en place. Cette taxe carbone aux frontières est également une incitation forte pour les autres pays à mettre en œuvre chez eux leur propre tarification carbone. Plutôt que de payer la taxe carbone à la frontière européenne, les pays exportateurs peuvent choisir de mettre en place une tarification carbone sur leur territoire et conserver les revenus. C’est ce qui est prévu dans plusieurs pays, qui vont démarrer ou renforcer leur tarification carbone en réponse à la future taxe européenne, comme l’Inde, l’Indonésie, le Maroc, la Turquie, l’Ukraine ou l’Uruguay, toujours selon le rapport de la Banque mondiale.

En plus de réduire les émissions de gaz à effet de serre, la tarification carbone génère une source importante de revenus pour les gouvernements. Comme le rapport de la Banque mondiale l’indique, les revenus mondiaux issus de la tarification carbone ont dépassé 100 milliards de dollars pour la première fois en 2023. Plus de la moitié de ces revenus sont utilisés pour des investissements bas carbone. Environ un tiers des revenus sont alloués au budget des gouvernements et utilisés pour d’autres dépenses. Enfin environ 10 % des revenus sont utilisés pour une redistribution aux entreprises et aux ménages.

Pour renforcer la transparence, l’équité et l’acceptation de la tarification carbone, plusieurs pays ont fait le choix de redistribuer la majeure partie des revenus de leur tarification carbone directement aux citoyens. Une telle redistribution est déjà en place au Canada, en Suisse, en Autriche et bientôt en Allemagne. Dirk Messner, président de l’Umweltbundesamt (UBA, homologue allemand de l’ADEME), soutient publiquement que l’Allemagne devrait implémenter une redistribution et servir de modèle aux autres pays européens qui devront aussi compenser les impacts financiers qu’aura le futur marché carbone sur le transport routier et le bâtiment sur la population. En France, cette mesure de redistribution est portée par le Lobby Climatique Citoyen.

Pour en savoir plus sur les évolutions du marché carbone européen, l’économiste du climat Christian de Perthuis a publié un article à ce sujet.