Les forêts françaises jouent un rôle important dans la lutte contre le changement climatique, en agissant comme des puits de carbone. Qu’est-ce qu’un puits de carbone ? Sont-ils en train de s’effondrer ? Dans ce nouvel article, rédigé avec l’ONF, nous faisons le tour de la question.

Article rédigé avec l’Office national des forêts (ONF).

Pour commencer, qu’est-ce qu’un puits de carbone ? Pourquoi peut-on dire qu’une forêt est un puits de carbone ?

Un puits de carbone est un système capable d’absorber plus de dioxyde de carbone (CO₂) qu’il n’en émet. Il permet ainsi de réduire la concentration de ce gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Les puits de carbone naturels incluent les océans, les sols et la végétation (dont les forêts).  À l’échelle de la planète, environ 40 gigatonnes de CO₂ sont émises chaque année, principalement par la combustion d’énergies fossiles et secondairement par la déforestation. Sur ces 40 gigatonnes de  CO₂, environ un quart est absorbé par les océans, un quart par les écosystèmes continentaux (surtout les forêts) et la moitié reste piégée dans l’atmosphère. C’est parce que des gaz à effet de serre comme le CO₂ s’accumulent chaque année dans l’atmosphère que sa concentration augmente, en lien direct avec l’augmentation de la température de la terre, ce qui provoque le changement climatique.
Balance of sources and sinks

Le mécanisme fondamental qui permet aux forêts d’absorber le carbone repose sur la photosynthèse. Grâce à ce processus utilisant l’énergie du soleil, les arbres absorbent le CO₂ atmosphérique, le transforment en carbone organique et libèrent de l’oxygène. Le carbone ainsi fixé est stocké dans la biomasse vivante : les troncs, les branches, les feuilles et les racines des arbres. Les sols forestiers sont également d’importants réservoirs de carbone. Lors de la décomposition des feuilles mortes, branches et autres matières organiques, du carbone est enfoui dans le sol sous forme de matière organique stable. En somme, les forêts stockent du carbone à deux niveaux : dans les arbres eux-mêmes et dans leurs sols, contribuant largement à réguler le cycle global du carbone.

Bien qu’ils absorbent du CO₂ par la photosynthèse, les arbres sont aussi émetteurs de CO₂. Ils le sont tout au long de leur vie, à travers leur métabolisme naturel, et à la fin de leur vie, lors de leur décomposition (mortalité) ou de leur combustion (incendies).

Globalement, quand une forêt absorbe plus de CO₂ qu’elle n’en émet, elle est un puits de carbone. Dans le cas inverse, elle est une source de carbone. En fonction des conditions biologiques et climatiques, une même forêt peut être puits de carbone une année et source de carbone la suivante.

Il faut bien faire la distinction entre la notion de stock et de puits. Le stock de carbone de la forêt correspond à tout le carbone qui est stocké à un instant donné (dans les troncs, les branches, et les sols). La notion de puits/source correspond à une variation de stock : si le stock diminue, alors la forêt absorbe moins de carbone qu’elle n’en émet, c’est une source de carbone. Inversement, si le stock augmente, alors la forêt absorbe plus de carbone qu’elle n’en émet, c’est un puits de carbone.

Dans une réserve naturelle, en conditions stables, on est dans un système à l’équilibre. L’accroissement est compensé par la mortalité. Cela signifie que la forêt n’est ni une source, ni un puits de carbone. C’est simplement un stock de carbone, avec autant de carbone absorbé que de carbone émis chaque année. En forêt en gestion durable, le système est aussi à l’équilibre. L’accroissement biologique est en équilibre avec les prélèvements, le stock moyen est stable.

Sachant que les forêts françaises sont gérées durablement, pourquoi peut-on dire qu’elles sont des puits de carbone ? Pour deux raisons : parce que la surface forestière a énormément augmenté (et continue de le faire) et le volume forestier encore plus !

Grâce aux progrès dans l’agriculture au moment de la révolution industrielle du milieu du XIXe siècle, des surfaces agricoles ont été libérées et ont laissé de la place pour l’expansion des forêts. Pour les surfaces qui étaient déjà forestières avant cette période, le volume a même été multiplié par presque 5, grâce à la très forte régression des taillis au profit de sylvicultures produisant du bois d’œuvre de qualité et de plus grandes hauteurs. Nous avons donc des forêts qui s’étendent et qui se densifient.

Les puits de carbone forestier seraient en train de s’effondrer ?

Les forêts françaises couvrent 31 % du territoire national et absorbent environ 10 % des émissions annuelles de CO₂. Cependant, elles ont vu leur capacité d’absorption diminuer de manière alarmante. Selon une étude publiée en juin 2023 par l’Académie des sciences, cette capacité a été réduite de moitié au cours des dix dernières années.

Cette situation s’explique par plusieurs facteurs interconnectés. Les incendies de forêt touchent désormais des régions auparavant épargnées, libérant en 2022 de l’ordre de 5 millions de tonnes de CO₂, soit quatre fois plus que la moyenne annuelle habituelle. Par ailleurs, les événements climatiques extrêmes, comme les tempêtes, canicules et sécheresses, affaiblissent les arbres, ralentissent leur croissance et augmentent leur mortalité. La prolifération de ravageurs, notamment les scolytes, endommage également les forêts.

Ces pressions ont conduit à une diminution de 4 % de la croissance des forêts métropolitaines et au doublement de leur mortalité au cours de la dernière décennie, d’après l’IGN. Si la croissance des forêts diminue et que la mortalité augmente, cela signifie que les forêts absorbent moins de CO₂, et donc que leur capacité de puits de carbone s’amenuise.

Certaines régions, comme les Hauts-de-France et le Grand Est, sont même devenues émettrices nettes de CO₂ en 2023. D’après l’étude, les projections sont particulièrement inquiétantes : sans intervention, les forêts françaises pourraient, d’ici 2030, émettre plus de carbone qu’elles n’en absorbent, compromettant ainsi les objectifs de neutralité carbone fixés pour 2050.

La perte de productivité peut être comparée à une “tempête silencieuse”. Lorsqu’une tempête ravage une forêt, de nombreux arbres meurent, ce qui réduit sa capacité à être un puits de carbone. De manière plus discrète, la perte de productivité fait que les arbres peuvent moins absorber de carbone. Si le phénomène est moins spectaculaire qu’une tempête, et peut même passer totalement inaperçu, le résultat sur le bilan carbone est tout aussi important !

Attention, cependant, à bien faire la distinction entre puits et stock. Si les puits de carbone forestiers diminuent, cela signifie que leur capacité d’absorption du carbone est de plus en plus faible. Par contre, le stock total continue d’augmenter ! Quand on lit dans les médias que les puits forestiers s’effondrent, on imagine souvent que les forêts françaises sont en train de partir en fumée, mais ce n’est pas la bonne image. Le stock continue de s’accroître (dans les troncs, les branches, et les sols), mais moins rapidement qu’avant.

Quelles sont les perspectives pour les puits de carbone forestiers en France dans les prochaines décennies ?

Comme vu dans la question précédente, plusieurs études récentes indiquent une diminution significative de la capacité des forêts françaises à absorber le carbone. Cette tendance pourrait se poursuivre dans les prochaines décennies, principalement en raison de l’aggravation des conditions climatiques, qui affectent la croissance et augmentent la mortalité des arbres.

Le changement climatique entraîne des sécheresses plus fréquentes et intenses, des incendies de forêt et facilite des infestations de ravageurs, ce qui affaiblit les écosystèmes forestiers. Pour maintenir et potentiellement augmenter la capacité de séquestration de carbone, il est essentiel d’adapter la gestion forestière, notamment en limitant les incendies et en renouvelant les peuplements avec des essences adaptées aux nouvelles conditions climatiques.

La bonne gestion des sols forestiers est également déterminante pour conserver leur énorme stock de carbone, mais aussi pour disposer d’écosystèmes résilients, par exemple en maintenant les sols forestiers en bon état, particulièrement en évitant le tassement des sols qui asphyxie les racines et les empêche de pousser, ou encore en laissant le menu bois et les feuilles sur place afin que la matière organique se décompose et améliore la fertilité du sol. Une autre option pour faire contribuer la forêt à l’effort national de diminution des émissions de gaz à effet de serre consiste à développer les usages du bois français, en priorité dans les secteurs de la  construction et de l’ameublement ; le carbone restera ainsi longtemps stocké. Et cette utilisation accrue du bois dans ces secteurs réduira l’usage de produits plus carbonés (béton, acier, plastique, etc.) auxquels il se substituera.

Cependant, comme précisé dans une tribune de l’IGN publiée dans Le Monde, la forêt ne pourra pas être un puits de carbone jusqu’à la fin des temps. Aujourd’hui, la forêt française est un puits de carbone parce que sa surface et sa densité augmentent encore. Ces deux tendances ne pourront pas continuer sans fin, puisque la surface territoriale est limitée et que la densification également. Viendra donc un jour où les forêts françaises seront à l’équilibre, et capteront autant de carbone qu’elles en émettent. Elles ne seront plus des puits de carbone.

Mais c’est à un horizon très lointain. Pour les prochaines décennies, une étude prospective de l’IGN indique que les forêts françaises continueront très probablement d’être des puits de carbone d’ici à 2050, à condition que le changement climatique ne s’aggrave pas sévèrement. Cette étude montre aussi le rôle de ces forêts pour approvisionner la filière et la société avec un matériau renouvelable décarboné et contribuer ainsi à l’atténuation du changement climatique.