Jean Jouzel a perdu son optimisme légendaire. Depuis que les Etats-Unis, le deuxième pays émetteur, a décidé de quitter l’Accord de Paris, il ne voit pas comment convaincre le Brésil et la Russie. Et si nous ne changeons rien, c’est 4 degrés de plus qui nous attendent à la fin du siècle.
Il aborde la COP 24, sa 19ème Conférence pour le climat, avec beaucoup d’inquiétudes. Entretien avec un homme sage qui veut encore y croire. Car il le sait bien, il reste 10 à 15 ans pour agir, pas plus.
Vous avez toujours été modéré et là, vous semblez inquiet. Vous pouvez nous expliquer pourquoi ?J’étais assez optimiste après l’Accord de Paris parce que pratiquement tous les pays l’avaient ratifié (sauf la Russie). L’Accord de Paris ne fixait pas d’objectifs mais demandait de s’engager. Cela nous a permis d’impliquer de nombreux pays. Aujourd’hui, le contexte est complètement différent.
Nous allons prendre conscience du caractère extrêmement négatif de la position des États-Unis. Et percevoir de façon frontale l’impact de la décision de Donald Trump de quitter l’Accord de Paris.
Pour atteindre nos objectifs, il faudrait demander aux autres pays, en espérant qu’ils puissent un peu se serrer les coudes, d’augmenter leurs ambitions fixées par la COP 21. Il faudrait qu’ils multiplient par 3 leurs engagements, alors que le 2ème pays émetteur de la planète est en train de quitter l’Accord de Paris. La principale raison de mon pessimisme c’est effectivement le retrait de Donald Trump annoncé, celui envisagé par le Brésil et dans ce contexte, le fait que le dernier grand pays qui n’avait pas encore ratifié, la Russie, risque de se défiler. Si on veut réussir la transition vers une société sobre en carbone, disons 1.5°C, il faudrait diviser les émissions par 2 entre 2020 et 2030, arriver à une neutralité carbone en 2050 : ça semble très difficile dans la conjecture. Même pour atteindre 2°C, il faudrait diminuer les émissions de 20% entre 2020 et 2030, arriver à la neutralité carbone dans la 2e partie de ce siècle… Pour 1.5°C on parle d’émissions négatives, on est loin d’un tel seuil…
La seule façon de lancer de façon dynamique l’objectif 2°C, c’est que tous les pays de la planète, tous les secteurs d’activités, tous les citoyens regardent dans la même direction et on est loin d’un tel accord.
Actuellement, il y a 3 grands pays hors Accord de Paris, ce qui représente un bon tiers des émissions : ce n’est pas négligeable
L’Accord de Paris n’était pas suffisant ?
L’Accord de Paris (engagements entre 2020 et 2030) ne fait parcourir qu’un tiers du chemin nécessaire en terme de réduction des gaz à effets de serre, par rapport à l’objectif de 2 degrés, et pratiquement qu’1/5è du chemin par rapport à l’objectif d’1.5°C. C’est une première faiblesse de cet accord. Les négociations doivent reprendre pour remonter l’ambition de l’Accord de Paris. C’est absolument nécessaire.
Si on reste sur l’Accord de Paris sous sa forme actuelle, on n’échappera pas à un réchauffement d’au moins 3°C à la fin de ce siècle.
C’est extrêmement important. Comme nous le montre le dernier rapport du GIEC, dès 2°C il y a des conséquences importantes en termes d’extrêmes climatiques, de perte de bio-diversité. Par exemple, les récifs coralliens disparaîtraient complètement avec un réchauffement de 2°C.
Il faut donc tout faire pour éviter les 3°C vers lesquels nous emmène l’Accord de Paris dans sa forme actuelle. Et les 4 ou 5°C vers lesquels nous irions à la fin du siècle si rien n’était fait pour lutter contre le réchauffement climatique. L’idée c’était vraiment, à partir de 2018 avec la COP 24, de reprendre les négociations avec l’espoir de remonter les ambitions de l’Accord de Paris.
Avec 4 degrés de plus, elle ressemblera à quoi, la terre ?
Plus on dépasse les 2 degrés, plus les phénomènes climatiques deviennent prégnants et forts. Avec 1,5 degré de plus, on pense pouvoir s’adapter. Ce sera plus difficile à 2 degrés et pratiquement impossible à 4 degrés.
Dès 3 ou 4 degrés, il y a des risques de conflits, un accroissement des inégalités entre les pays riches et les pays pauvres mais aussi au sein des pays riches. Il n’y a qu’à voir ce qui se passe en France.
Ce sont les couches les moins aisées de la population qui sont les plus fragiles par rapport aux conséquences du réchauffement climatique.
A cela s’ajoute l’acidification des océans. Ils seront deux fois plus acides à la fin de ce siècle qu’ils n’étaient à la fin du siècle dernier. Sans compter les conséquences sur les récifs coralliens qui disparaissent à +2°.
Les événements extrêmes deviendront de plus en plus extrêmes.
Les vagues de chaleurs vont se multiplier avec des températures qui pourraient dépasser même en France 50 degrés.
Actuellement il y a 5% des européens qui font face à un événement climatique extrême chaque année, comme la sécheresse, les inondations ou la chaleur. Dans la deuxième partie de ce siècle, deux européens sur trois seront victimes chaque année d’un événement climatique extrême.
Et si on parle d’un réchauffement de 4 degrés, il y aura des endroits où l’on ne pourra plus vivre l’été.
Il y aura une partie de la Chine, où vivent actuellement 400 millions d’habitants, où les conditions de température et d’humidité rendront les activités à l’extérieur impossibles. Ce sont des régions qui deviendront invivables l’été.
Comment pouvons-nous agir à notre échelle de citoyen ?
Si l’on regarde la façon dont nous nous déplaçons, notre vie domestique (le chauffage, les appareils électriques et électroménagers…) et l’alimentation, ça représente plus de 60% des émissions de gaz à effets de serre en France. Ce sont des décisions de chaque jour de chacun d’entre nous,
cela veut dire que les petits gestes sont loin d’être négligeables.
Nous avons un rôle à jouer. Il y a plein de choses à faire au niveau individuel, aucun secteur d’activités ne peut dire « le réchauffement climatique ça ne me concerne pas ». Il y a toujours des choses à faire, aussi bien dans sa vie de tous les jours mais aussi dans la vie professionnelle.
Et quand on parle d’énergie, de mobilité, de bâtiment et d’urbanisme, c’est au niveau des collectivités régionales et locales qu’il faut agir. Souhaiter que les gens prennent les transports en commun n’a de sens que s’ils existent et sont facilement utilisables. Tout le monde doit s’y mettre. Les entreprises doivent s’impliquer mais aussi continuer à gagner de l’agent, créer un dynamisme économique. Tout le monde doit s’impliquer : l’éducation, les médias, les citoyens…
Qui pourrait mener le changement ?
Avec Pierre Larrouturou, nous pensons que l’Europe pourrait être un leader dans la lutte contre le réchauffement climatique. C’est la théorie de notre livre : » Pour éviter le chaos climatique et financier » Nous proposons un pacte Finance-Climat européen. On voit bien la difficulté de l’objectif 2030 qui est de diminuer de 20% les émissions entre 2020 et 2030, et l’objectif neutralité carbone en 2050. La loi sur la transition énergétique pour la croissance verte est tout à fait en phase avec les 2°C au niveau international mais la France n’est pas non plus sur une voie extrêmement dynamique.
Les émissions ont augmenté entre 2016 et 2017, en France, en Chine et au niveau mondial. La France doit jouer son rôle mais elle pèse pour 1% des émissions ; la dimension européenne pourrait être un leadership mondial, avec 10% des émissions mais l’Europe n’a pas de projet actuellement, autre que de s’entourer de barbelés pour certains.
Un projet en ce domaine serait très porteur. Du point de vue du climat mais aussi économique. Cette transition, nous devons la faire, on ne peut pas continuer à utiliser les combustibles fossiles sans faire attention.
Le leadership doit être pris par un des 3 principaux acteurs. Face à la Chine ou aux États-Unis l’Europe peut relever le défi mais il s’agit d’investissements très importants, (évalués à 1115 milliards chaque année). La France devrait mettre 2% supplémentaires du PIB annuellement dans la lutte contre le réchauffement climatique.