C’est énorme, mais c’est possible.
La guerre du climat, dans l’état actuel des choses semble perdue. Les émissions de gaz à effet de serre repartent plus que jamais à la hausse ; la COP24 semble se dérouler dans l’indifférence du monde ; en France on sacrifie, sous la pression des Gilets jaunes, une fiscalité énergétique congénitalement injuste et insuffisante. La planète brûle mais c’est surtout le vivant dont nous, humains, faisons partie, qui se trouve en péril. Que faire ? Attendre que le ciel ne nous tombe sur la tête ? Ou accumuler les petits gestes quotidiens, les petits pas ? Tout semble bien insuffisant face aux enjeux.
Pour mener la guerre climatique, il faut de l’argent, et beaucoup d’argent. Où le trouver ? Dans la poche des populations, citoyens déjà en large détresse économique, ou peuples menacés de la fin de leur monde ? Pour tenter de gagner la bataille climatique, il nous faut 1000 milliards d’euros. 1 115 exactement. En Europe seulement, et par an. Où les trouver ? Certains ont une solution. Elle est jouable, mais il faudra beaucoup de volonté politique pour la mettre en œuvre. A moins que ce ne soient les peuples qui poussent, qu’ils arborent ou pas un gilet jaune. La
guerre climatique devra-t-elle commencer par la Révolution ?
Article ici : http://www.up-magazine.info/index.php/planete/climat/8251-1000-milliards-d-euros-pour-le-climat
Amoins d’être un climatosceptique sourd, aveugle et d’un cynisme insondable, nul ne peut nier l’aggravation des phénomènes climatiques. On ne cesse de le répéter, tous les voyants sont au rouge et le dernier rapport du GIEC n’est pas là pour apaiser les esprits. Pour éviter le pire, il faudrait réduire par deux nos émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030. Onze petites années pour tenter d’enrayer la machine infernale. Les grands ordonnateurs de la planète, au premier rang desquels figure l’ONU, demandent à tripler nos investissements dans les énergies nouvelles si l’on veut rester en-dessous de la barre fatidique des 2°C. Or la mission semble tellement impossible que les bras tombent. La COP24 qui se tient en ce moment même en Pologne se déroule à bas bruit, un peu incognito. Les grands dirigeants du monde n’ont même pas fait le déplacement. À quoi bon, quand les États les plus pollueurs de la planète perpétuent, dans un cynisme écocidaire incroyable, leur business as usual ?
Nerf de la guerre
Le nerf de la guerre climatique qu’il faut mener, c’est l’argent. Et les gouvernants, pris en tenaille entre les lois du marché, la pression des grands industriels et les règles supranationales ne savent où en trouver ni à quel saint se vouer. Impossible de mener la moindre politique climatique sans d’immenses financements. Comment financer les travaux d’amélioration de l’habitat pour combler les passoires énergétiques dans lesquels les gens vivent ? Comment arriver à la neutralité carbone sans investissements massifs ? Pour passer à l’action à grande échelle, celle que nécessite l’ampleur de la crise climatique, les petits gestes ne suffiront plus. Comme ne suffisent plus les mesures qui déchargent sur les populations la responsabilité et le poids des engagements.
La crise des Gilets jaunes en est l’illustration. La taxation du carburant au nom de la transition énergétique ajoute de la misère à la misère. Le seuil de tolérance franchi, la colère, la rage voire l’extrême violence prennent le pas sur la raison. Le rejet ensevelit dans un trou noir les meilleures intentions du monde, même si elles sont, par nature, propres à être partagées par le plus grand nombre. Car les Gilets jaunes sont nombreux à partager la même inquiétude sur les dérèglements climatiques. Mais l’antagonisme « fin du mois » contre « fin du monde » ruine toute stratégie climatique. L’écologie devient un luxe de nanti qu’une immense majorité ne peut pas se payer. Car les alternatives n’existent pas encore dans ce monde de transitions en gésine. Nous ne sommes pas encore dans le nouveau monde vert. Nous en sommes même très loin. Aujourd’hui, les peuples doivent régler leurs problèmes de survie immédiate. Des problèmes de vie invivable alors que les inégalités se font de plus en plus visibles et obscènes. Le problème est insoluble à moins de changer radicalement de paradigme.
1000 milliards
Il faut trouver 1000 milliards d’euros. Ce chiffre n’est pas un slogan incantatoire proclamé par quelque écolo surmené. Non, il provient de la Cour des comptes européenne. Dans un rapport publié le 20 septembre dernier, la Cour estime que les 28 devraient investir chaque année 1115 milliards d’euros pour atteindre leurs objectifs en matière de lutte contre le dérèglement climatique.
Dans leur livre Finance, climat, réveillez-vous ! (Éditions Indigène), Anne Hessel, Jean Jouzel et Pierre Larrouturou expliquent ce chiffre. Selon les auteurs, les auditeurs de la Cour des comptes européenne connaissent parfaitement les contraintes économiques. S’ils avancent un chiffre aussi énorme c’est qu’ils ont compris « qu’il existe des contraintes d’un niveau supérieur sur lesquelles nos sociétés vont se fracasser » si nous ne sommes pas capables de trouver ce financement. Pour cela, il faut innover et sortir des sentiers battus. On ne peut demander aux citoyens de financer cette somme. La moitié d’entre eux n’ont aucune épargne et bouclent difficilement leurs fins de mois. Compter uniquement sur la taxe carbone est voué à la résistance citoyenne qui a besoin de sa voiture pour se déplacer, et donc à l’échec. Pour l’économiste Pierre Larrouturou, il existe des marges de manœuvre. Les dividendes des grandes entreprises cotées ont bondi de 23 % l’an dernier en France, le taux moyen de l’impôt sur les bénéfices est passé, en moyenne dans toute l’Europe, de 45 à 19 %, moins qu’aux Etats-Unis de Donald Trump.
Mais cela n’est rien comparé à ce que peuvent faire les banques, notamment les banques centrales.
Entre avril 2015 et fin décembre 2017, la Banque centrale européenne (BCE) a mis à disposition des banques plus de 2500 milliards d’euros. Soit 1000 milliards par an. On n’en parle quasiment jamais dans le débat public. Pourtant, la BCE a réussi ce tour de force de créer, ex nihilo 2 500 000 000 000 euros. Difficile de dire, à propos du climat, que les caisses sont vides.
Objectif initial de cette création de monnaie hors norme : créer des investissements de long terme, utiles au bien commun et au développement économique. En réalité, où sont passés ces 2 500 milliards ? Selon Pierre Larrouturou, seulement 11 % de cette somme, soit 280 milliards d’euros, ont été alloués par les banques à des crédits d’investissement. Le reste, c’est-à-dire l’essentiel, est parti alimenter la spéculation sur les marchés financiers. Le résultat, on le connaît aujourd’hui : un niveau de spéculation et un niveau d’endettement jamais vus. La dette mondiale a atteint cette année 164 000 milliards de dollars soit 225 % du PIB mondial ! Il y a trop d’argent injecté dans la sphère financière et peu dans la sphère économique ; explosion de bulles et krach violent se profilent au bout du chemin.
Crise financière doublée d’une crise climatique, le monde, tel le Titanic fonce dans le mur. « Non seulement l’argent qui permettrait de financer la transition écologique existe, mais au lieu de régler cette question majeure, il va au pire endroit : alimenter la spéculation, booster les inégalités, jusqu’au krach final » alertent les auteurs de Finance, climat, réveillez-vous !
Solution
Pour changer de paradigme et d’orientation, il faut agir vite ; et les solutions existent si la volonté politique s’en mêle. Pierre Larrouturou, l’un des auteurs du livre vient d’être nommé par le gouvernement Macron membre du tout nouveau Conseil pour le climat. Créé en pleine crise des Gilets jaunes, cet organisme, vite qualifié de comité Théodule par certaines mauvaises langues, est censé apporter des solutions aux gouvernants pour affronter la crise climatique. Pierre Larrouturou propose des idées radicales et notamment un Pacte pour le climat. L’idée, supportée par des personnalités venues de tous bords, 180 députés et l’un des hauts responsables de la Banque européenne d’investissement (BEI), consiste à créer une Banque européenne du climat, en moins d’un an.
Pierre Larrouturou (photo Baltel / SIPA)
Cette banque, créée de toutes pièces, serait filiale à 100 % de la BEI. Chaque pays disposerait d’un droit de tirage c’est-à-dire d’une enveloppe correspondant à 2% de son PIB de financements à taux 0 pour la transition écologique. Et ce, chaque année pendant trente ans. La France ainsi disposerait chaque année de 45 milliards à taux 0 pour des investissements privés ou publics. Petit détail qui a son importance : les investissements publics ainsi financés seraient sortis du calcul du déficit public (les 3 % de Maastricht). Pour l’économiste Pierre Larrouturou, ce prêt serait complété de subventions européennes qui porterait le montant à environ 55 milliards d’euros : « ça change beaucoup de choses ». D’autant plus si le gouvernement oriente les banques et les assurances par des incitations vers les green-bonds, s’il modifie les règles du jeu des établissements financiers en instaurant des systèmes de bonus-malus.
« C’est une vraie révolution » affirme Pierre Larrouturou. Mais il poursuit aussitôt dans une interview accordée ce jour à UP’ Magazine que cette initiative, qui devrait prendre corps à l’occasion du Sommet européen des 22 et 23 mars prochains, ne peut se mettre en œuvre sans la pression du peuple : « Il faut un lobby citoyen, une force citoyenne bienveillante qui mette de l’intelligence dans le débat ». Selon lui, « la fièvre des Gilets jaunes peut être cette occasion en France. Celle de provoquer un sursaut qui suscitera des réponses concrètes et apportera du sens ».
Une force qui bouscule l’inertie des dirigeants, cette inertie incompréhensible, mystérieuse, « scandaleuse » pour Pierre Larrouturou, alors que les alertes se multiplient depuis plusieurs années : « Depuis 2008 ils n’ont pas changé les règles du jeu. Il y a une inertie du système. Il y a 18 mois on pensait qu’il allait y avoir un grand débat sur la refondation de l’Europe et là on en est juste à gérer la sortie de l’Angleterre ». Il insiste : « l’Europe va se disloquer si elle n’a pas un nouveau projet, il faut d’urgence redonner un nouveau contenu, un nouveau cap au projet européen ».
Optimisme ?
Ce sursaut citoyen est-il pour autant suffisant et peut-on se permettre d’être optimiste ? « Non » répond P. Larrouturou car « Vu les déséquilibres accumulés depuis trente ans et l’inertie de nos dirigeants, le scénario du pire est le plus facile à envisager, le plus probable. Mais nous ne sommes pas à l’abri d’une bonne surprise et il est possible que nous arrivions à déclencher un sursaut. C’est cela ou le chaos. »
Le regard sur l’histoire montre que, quand les dirigeants politiques sont capables de courage et de volonté, des transformations inimaginables auparavant peuvent se réaliser ; dans des délais extraordinairement courts : Roosevelt et son New Deal, Kennedy et sa conquête spatiale, Schuman et Adenauer pour l’Europe. Aujourd’hui, les gouvernants des démocraties européennes subissent de plein fouet une crise de confiance, une crise de foi. Ce sont les citoyens qui se montrent dans la lumière de l’histoire et veulent exister, qui se battent pour prendre leur destin en main. Ces révolutions peuvent accoucher de monstres comme de nouveaux mondes. Et si les crises que nous traversons (économique, climatique, sociale, sociétale) étaient une chance ? Pourquoi ne seraient-elles pas l’arme des peuples pour pousser leurs gouvernants à agir, à être plus courageux, plus audacieux ? Serait-ce une émeute ? Non, une révolution.
Finance, climat, réveillez-vous ! Les solutions sont là, d’Anne Hessel, Jean Jouzel et Pierre Larrouturou, éd. Indigène, 2018, 160 p., 8 €.