En quelques semaines, le projet de créer un Pacte Finance-Climat, avec une vraie banque européenne dédiée à la transition, a rassemblé des centaines de personnalités dont Pedro Sánchez, président du gouvernement espagnol.
Extrait de notre interview avec Jean Jouzel et Pierre Larrouturou, les initiateurs de cette idée qui réconcilie avec l’Europe, à retrouver dans We Demain n°25. Ce mardi 19 février, ils organisent à Paris une session du Grand débat consacrée à ce projet, en présence de nombreuses personnalités.
- Jean Jouzel, à l’issue de la COP 24, en décembre, vous disiez : « Je crains qu’il soit très difficile de respecter l’objectif de l’accord de Paris, y compris l’objectif haut : maintenir le réchauffement climatique en deçà des 2°C. »
Jean Jouzel : J’étais dans la délégation française et les négociateurs étaient assez heureux de l’issue de la conférence. Leur objectif était de finaliser le mode d’emploi de l’accord de Paris. Il a fallu un peu de flexibilité, mais cet objectif a été atteint. Il y a eu des tentatives de certains pays de modifier l’accord, mais il est resté dans son intégralité. Et il y a plutôt de bonnes nouvelles du côté du financement avec 100 milliards de dollars pour aider les pays en voie de développement à lutter contre le réchauffement et à s’y adapter. Il semblerait que l’on y parvienne en 2020, malgré le retrait des États-Unis.
- Les élections européennes approchent (le 26 mai en France) et vous appelez l’Union Européenne à se relancer autour de l’écologie.
Pierre Larrouturou : Ce n’est pas seulement lors des élections qu’il faut en parler. Il y a eu dix-huit mois de débats sur la refondation de l’Europe. Dans tous les pays, on a demandé aux citoyens ce qu’ils voulaient. En France, le sujet qui est remonté le plus, d’après la ministre des Affaires européennes, c’est le climat et l’environnement. Les chefs d’État doivent donner à cela une traduction concrète lors des sommets de mars et d’avril, avant les élections, montrer que l’Europe est capable de bouger, que non, elle n’est pas aux mains des lobbies, des banques. Alors peut-être qu’il y aura moins de vote anti-Europe.
- Le climat peut vraiment relancer le projet européen ?
P. L. : On le pense. C’est ce qu’on nous dit à Paris, Berlin ou Bruxelles. Il n’y a pas tellement de sujets qui peuvent rassembler l’Europe du Nord et du Sud. Aux Pays-Bas, le climat est un sujet qui préoccupe : 70 % des Néerlandais vivent en zone inondable et les écolos y ont gagné les douze plus grandes villes aux municipales. Lorsque je rencontre Pedro Sánchez, président du gouvernement espagnol, ou son conseiller politique, ils me disent : « Sur votre projet, vous n’aurez pas les 27 [pays européens] mais on peut avoir 13 ou 14 pays qui disent banco : on veut un traité qui met la finance au service du climat avec des outils concrets qui nous permettent de financer des créations d’emploi massives. » Ce projet rejoint la demande des Gilets jaunes. La plupart ne disent pas que la question du climat est centrale, mais ils veulent qu’on puisse traiter en même temps la justice sociale et le climat.
- Vous prônez un plan d’investissement inédit qui permettrait d’injecter 1 000 milliards d’euros dans la lutte contre le réchauffement climatique, avec la création d’une banque européenne du climat qui prêterait aux États à taux zéro. Dans quel but ?
P. L. : Il faut isoler les bâtiments, investir dans les transports en commun, aider l’agriculture mais on ne sait pas comment financer cela. Nicolas Hulot a démissionné en particulier parce qu’il n’avait pas les budgets pour faire avancer les choses. En Allemagne, Peter Altmaier [ministre de l’Économie] doit élaborer une loi pour l’efficacité énergétique mais il ne sait pas comment la financer. Teresa Ribera, ministre de l’Environnement en Espagne, prépare une grande loi pour la neutralité carbone de son pays en 2050… Elle non plus ne sait pas comment la financer. Des choses commencent à bouger dans les énergies renouvelables, qui sont de plus en plus rentables. La grosse difficulté, c’est de diviser par deux la consommation d’énergie en isolant tous les bâtiments publics, privés, plus un peu de sobriété. Cela nécessite des financements, dans un domaine où le privé n’investira pas.
- Le secteur public le peut ?
P. L. : Quand le mur de Berlin est tombé, il a suffi de six mois pour que Helmut Kohl et François Mitterrand comprennent qu’il fallait un outil pour financer la transition et créer la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD). Avec le Pacte Finance-Climat européen, nous demandons qu’il y ait une banque du climat qui soit une filiale de la BEI [Banque européenne d’investissement] sans toucher à la BCE [Banque centrale européenne]. Cette banque aurait l’obligation de financer la transition dans tous les pays européens. Chaque pays aurait une enveloppe représentant 2 % de son PIB. La France saurait que pendant 20 ou 30 ans, elle aurait chaque année un prêt à taux zéro de 45 milliards d’euros. Cela changerait tout : 7 milliards pour le logement, 10 pour les transports, 5 pour l’agriculture…