Il y avait foule hier soir à partir de 18 heures dans l’auditorium de Jussieu à Paris pour entendre les propos des hommes et des femmes appelés à intervenir pour exiger de l’Europe la mise en place d’un « Pacte Finance-Climat. Le public était plutôt jeune et l’on se disait que beaucoup d’étudiants de ce site avaient décidé de venir écouter des personnalités comme Laurent Fabius , Alain Juppé , deux anciens premiers ministres , ou encore Pascal Lamy , ancien commissaire européen en charge du Commerce qui deviendra plus tard directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Hier soir, sur le coup de 19 heures, pendant que se déroulait la rencontre de Jussieu, un communiqué de presse était diffusé par les organisateurs sous le titre suivant : « Madame Merkel, monsieur Macron, tout le monde soutien le projet du Pacte Finance-Climat : qu’attendez-vous pour agir ? ». Le communiqué rappelait qu’il était question, pour les organisateurs de la soirée de Jussieu, de créer en Europe « une Banque du Climat et de mettre la création monétaire de la Banque Centrale Européenne (BCE) au service du climat et de l’emploi au lieu d’aller nourrir la spéculation ». Sur place, le grand écran affichait parfois ce slogan : «Si le climat était une banque on l’aurait sauvé».La démarche était initiée par l’économiste Pierre Larrouturou tandis qu’une cinquantaine de personnes étaient sollicitées pour de courtes interventions dans ce grand Forum.
Notons encore qu’un autre paragraphe de ce communiqué indiquait que « le Pacte a reçu, au total le soutien de plus de 800 personnalités du monde politique et de la société civile en France et en Europe. Plus de 240 députés français l’ont signé, dont plus de la moitié des députés de la majorité présidentielle LREM et MODEM. L’objectif affiché est qu’Emmanuel Macron et Angela Merkel portent le projet de Traité lors du prochain Conseil européen les 21-22 mars prochains». Pour peu qu’ils y répondent positivement, on peut penser qu’il y aura là un argument de campagne pour le parti du président de la République lors des élections européennes du 26 mai prochain.
Jean Jouzel et Hervé Le Treut ont insisté sur l’urgence climatique
A Jussieu, les climatologues Jean Jouzel et Hervé le Treut ont insisté sur l’urgence du combat visant à réduire considérablement nos émissions de gaz à effet de serre(GES). Le premier a indiqué qu’une hausse de la température moyenne du globe de 3°C en 2100 se traduirait par une élévation de trois mètres du niveau de la mer. Le second a indiqué que « les vingt ans à venir sont déjà écrits » concernant le réchauffement à venir du fait des émissions de gaz à effet de serre déjà larguées, soulignant ainsi combien il est urgent d’agir vite afin d’éviter que la situation continue d’empirer au cours des décennies suivantes.
Ces deux intervenants font toujours leur travail avec beaucoup de sérieux, ce qui permet de vérifier que celui des décideurs politiques l’est beaucoup moins. Laurent Fabius a dit qu’il fallait exiger des dirigeants politiques « le respect de la lettre et de l’esprit de l’accord de Paris » adopté en décembre 2015 lors de la Cop 21 qu’il présidait alors dans le cadre de sa fonction de Ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement de Manuel Valls. Mais, pour obtenir cet accord unanime et en faire un succès diplomatique, Laurent Fabius en a beaucoup rabattu sur le contenu du texte. Au point que ce dernier ne prévoit pas d’imposer la moindre obligation à quelque pays que ce soit concernant la réduction des émissions de GES. Celles de la France sont en hausse constante depuis décembre 2015 et sont la conséquence de décisions gouvernementales. Le nouveau découpage des régions par le gouvernement auquel participait Laurent Fabius se traduit par une métropolisation accrue des activités économiques du pays et par plus de circulation contrainte en voiture pour se rendre au travail. Mais l’actuel président du Conseil Constitutionnel n’a pas été interrogé hier soir sur cette contradiction par l’ancienne journaliste Audrey Pulvar qui animait la soirée.
Le mauvais exemple du trafic routier autour de Bordeaux
Alain Juppé, le toujours maire de Bordeaux pour quelques jours encore, a soigné sa bonne conscience en indiquant que la ville se donnait pour objectif de rénover 9.000 logements par an afin de réduire leur consommation d’énergie. Mais il n’a pas parlé du processus de d’exclusion des ménages modestes de la ville centre vers la lointaine périphérie. Il est pourtant induit par la spéculation immobilière. Du coup, tout autour de l’agglomération bordelaise, les « voies rapides » sont devenues des lieux d’engorgement de la circulation deus fois par jour avec une incroyable perte de temps et des pollutions croissantes au CO2.
Quand Pascal Lamy a pris la parole, en sa qualité de président émérite de l’institut Jacques Delors et d’ancien directeur de l’OMC, ce fut pour annoncer qu’il se trouvait récemment dans l’Antarctique. Il a constaté la fonte de plus en plus rapide des glaces, laquelle adoucit l’eau et réduit sa teneur en micro-organismes . Il a donc estimé qu’il ne fallait plus pêcher dans cette zone et regretté que des pays continuent de le faire. « OMC » a alors crié un homme dans la salle. Du coup, Audrey Pulvar s’est sentie obligée de demander à l’ancien directeur de l’OMC « si le libre échange et la multiplication des traités bilatéraux sont compatibles avec la lutte contre le réchauffement climatique» ? Pascal Lamy a répondu oui laissant entendre qu’il n’y aurait aucun problème « si on avait mis la tonne de carbone au prix nécessaire».
40% de nos émissions de CO2 sont externalisées
Cet argument est grotesque. Quand, au sein même de l’Union européenne, le salaire d’un ouvrier d’Europe centrale est trois à six fois moins élevé que dans un pays comme la France, même un prix relativement élevé de la tonne de carbone ne freinerait pas les délocalisations industrielles. C’est ce qui s’est passé avec la délocalisation des sèche-linge de Whirlpool d’Amiens en Pologne, pour ne citer qu’un seul exemple. Ajoutons que dans l’Europe actuelle, seule une minorité de pays, dont la France, a mis en place cette taxe carbone. Ce n’est pas le cas de l’Allemagne, ni de l’Italie, ni de l’Espagne, ni de la plupart des pays d’Europe centrale entrés dans l’Union européenne en 2004 et en 2007.
Notons enfin qu’au cours de cette soirée, Elisabeth Laville, fondatrice d’Utopies s’était exprimée quelques minutes avant Pascal Lamy. Ce fut notamment pour indiquer que 40% des émissions de CO2 imputables à la consommation des Français sont externalisées. C’est, pour l’essentiel, une conséquence des délocalisations de productions industrielles et agricoles vers les pays à bas coûts de main d’œuvre depuis plusieurs décennies. Ce qui révèle les contradictions de l’intenable discours de Pascal Lamy!
Si le climat était une banque, on peut en effet penser que les capitalistes l’auraient sauvé. Il reste à voir si l’éventuelle création d’une nouvelle banque en Europe pour mettre en place ce « Pacte Finance-Climat » donnera la solution que certains intervenants appelaient de leurs vœux hier soir à Jussieu.