Nous avons eu le grand plaisir de débuter une collaboration avec nos amis de l’Institut Rousseau et et de l’association négaWatt par une tribune commune parue dans le Monde le 15 juin. Elle a été la base d’une web-conférence le vendredi 3 juillet impliquant nos trois structures. À n’en pas douter, nos coopérations vont se développer pour amplifier notre plaidoyer d’une finance au service de la lutte pour le climat et notamment dans le secteur de la rénovation thermique des bâtiments.
Mettre la création monétaire au service d’une sortie de crise écologique à travers l’exemple de la rénovation énergétique des bâtiments
L’Union européenne et les États vont injecter des sommes colossales pour relancer l’économie suite à cette crise pandémique. C’est l’opportunité d’une reconstruction économique qui soit écologique. La construction d’une économie écologique, à même de respecter l’accord de Paris et préserver la biodiversité, nécessite plus de 1 115 milliards d’euros par an entre 2021 et 2030. Ce sont les chiffres de la Cour des Comptes européenne, qui précise que cela représente un effort annuel supplémentaire d’au moins 300 à 400 milliards compte tenu de ce qui se fait déjà. En dix ans, il nous faut donc trouver a minima 3 000 milliards d’euros pour financer une réelle politique de reconstruction écologique.
L’investissement dans la transition écologique est un levier important pour relancer l’économie et l’emploi. La rénovation énergétique du bâtiment, second émetteur de gaz à effet de serre en France, en est le meilleur exemple. D’ici 2050, il faut rénover 21,5 millions de logements au niveau du label « Bâtiment Basse Consommation », soit 700 000 par an, alors que les pouvoirs publics n’envisagent que 540 000 rénovations par an entre 2020 et 2030 (PPE) et en réalisent beaucoup moins. Pourtant, agir conduirait à éradiquer la précarité énergétique, ramenant ainsi un minimum de salubrité et de confort dans des logements, à créer 200 000 emplois pérennes et non délocalisables, à réduire le déficit commercial ou à transformer des dépenses d’énergie en financement local d’autres activités créatrices de richesses.
Ce défi impose d’abandonner les politiques d’incitation menées en Europe, dont les résultats sont insuffisants (l’Allemagne ne rénove que 3 % de ce qu’elle devrait rénover chaque année ) et de s’orienter vers une politique d’obligation à mener des rénovations complètes et performantes. Pour que cette obligation soit acceptable par les usagers, il y a trois conditions :
• chaque ménage doit bénéficier d’un financement total de sa rénovation, quels que soient ses revenus, assorti toutefois de certains plafonds raisonnables ;
• il faut un vrai guichet unique. Le financement des opérations est aujourd’hui trop complexe et beaucoup de ménages abandonnent leur projet ;
• dans la majorité des cas, le ménage doit gagner de l’argent dès la première année.
Aux coûts actuellement observés pour opérations très performantes, la facture s’élèverait à quelques 25 milliards € par an pour rénover 700 000 logements par an. Où trouver cet argent ?
Le financement se heurte à trois problèmes principaux. D’abord, pour inciter les acteurs privés à rénover, il faudrait que les économies sur la facture d’énergie soient supérieures au coût des annuités de l’emprunt, intérêts et principal compris. Afin que cela possible pour tous les ménages, il faut que les taux soient le plus faibles possibles (voire nuls) et les échéances les plus longues possibles (jusqu’à 30 ans) pour rendre viable l’opération.
Ceci nous amène au second problème : de faibles taux et des échéances longues risquent de ne pas séduire beaucoup de financeurs. Surtout si de nombreux ménages en précarité financière sont emprunteurs. La puissance publique doit donc s’engager à accorder des garanties ou à investir elle-même. Des subventions, des crédits d’impôts et des prêts à taux zéro accordés ou garantis par l’État sont donc nécessaires sur une large échelle.
C’est le troisième problème. Certes, il existe déjà quelques dispositifs d’aide mais les montants globaux, inférieurs à 5 milliards d’euros par an, sont très inférieurs aux besoins affichés (25 milliards d’euros). En outre, la multiplicité des aides et la complexité des démarches administratives découragent de trop nombreux ménages. Il convient donc que la puissance publique augmente le volume des aides de près de 20 milliards d’euros tout en les simplifiant.
Par quels moyens ?
Plusieurs solutions existent, qui ne nécessitent qu’un peu de volonté politique. La méthode la plus efficace consisterait pour l’État à verser directement des subventions à hauteur de ce qui est nécessaire pour financer entièrement les opérations de rénovation des ménages se situant au-dessous d’un certain niveau de revenus, tout en mettant en place un dispositif de prêts garantis à grande échelle, via la Banque postale ou les agences publiques comme Bpifrance ou l’ADEME, pour les ménages se situant au-dessus de ce seuil. L’endettement supplémentaire qui en résulterait n’est pas un problème : l’État français emprunte à taux négatifs jusqu’à des prêts de 12 ans et à seulement 0,6 % pour des prêts de 30 ans. Quant aux banques publiques d’investissement, il suffirait d’augmenter leur capital de quelques milliards d’euros pour leur permettre, via l’effet de levier, de trouver des sommes considérables sur les marchés afin de les prêter aux agents privés à des taux nuls. Avec un effet de levier de 1 à 10, il suffirait ainsi d’augmenter le capital de Bpifrance de 2 milliards d’euros pour lui permettre de lever 20 milliards d’euros afin de les réinvestir ensuite dans la rénovation.
Avec un peu de volonté, la banque centrale elle-même pourrait financer ces prêts aux acteurs privés. En effet, l’interdiction de financement monétaire par la banque centrale des États contenue à l’article 123 du TFUE ne concerne pas les acteurs privés. A priori rien n’empêche donc la banque centrale de financer les acteurs privés par des prêts ou même par des dons. Il faudrait pour cela que la création monétaire de la Banque centrale transite par les Trésors publics ou par les banques publiques d’investissement nationales, voire même par les banques privées si besoin. Les liquidités atteindraient ainsi l’économie réelle, sans blocage juridique et sans risque d’inflation.
En somme, pour rénover nos bâtiments, une rénovation de notre approche de la dette et de la monnaie est indispensable.