Le 27 juin dernier, Agir pour le climat organisait, en partenariat avec l’ADEME et Positive Money Europe, une après-midi d’étude sur le rôle des banques dans la rénovation énergétique des logements privés. Les 6 principaux groupes français – BNP Paribas, BPCE (Banque Populaire / Caisse d’Épargne), Crédit Agricole, Crédit Mutuel-CIC, La Banque Postale et Société générale – étaient réunis à cette occasion pour discuter des politiques et des dispositifs qu’ils mettent en œuvre. Cette 2e après-midi d’étude avait lieu dans l’auditorium de la Tour CB21, à La Défense. Elle faisait suite à celle que nous avions organisée avec la députée Marjolaine Meynier-Millefert au Palais Bourbon le 28 mars et qui avait porté sur la stratégie de l’État et sur les nouveaux dispositifs de l’ANAH.

NB : Cet article reprend plusieurs éléments traités lors de l’après-midi, mais n’en constitue pas, à proprement parler, le compte-rendu. Vous pouvez retrouver l’intégralité des échanges du 27 juin sur notre chaîne Youtube. Les supports utilisés par les intervenants sont publiés sous la vidéo.

 

L’objectif de l’après-midi était triple : réaffirmer l’enjeu de la rénovation énergétique pour les banques, permettre aux banques d’expliquer comment elles se mobilisent sur ce sujet et exprimer un certain nombre de leurs attentes aux pouvoirs publics.

  • Plus encore qu’un enjeu climatique, social, économique (un marché potentiel d’une quinzaine de milliards par an) ou réputationnel (engagement des banques à décarboner leur activité), l’efficacité énergétique des logements relève d’une question de gestion du risque pour les établissements de crédit. En cas de renchérissement important des prix de l’énergie (en lien ou non avec la transition), les occupants de passoires thermiques ont en effet un risque beaucoup plus élevé de faire défaut sur leurs crédits – quels qu’ils soient – que les ménages habitant dans des logements performants, comme le soulignait la Banque centrale européenne (BCE) dans son stress test climatique de juillet 2022.
  • Si la flambée des prix de l’énergie, consécutive à la reprise de l’activité en sortie de Covid à l’été 2021 et, plus encore, à l’agression russe en Ukraine en février 2022, n’a pas affecté la capacité des ménages à rembourser leurs emprunts, c’est parce qu’ils ont été protégés par les gouvernements. Que se serait-il passé sans la mise en place de boucliers tarifaires ? La crise énergétique serait très vraisemblablement devenue une crise financière.
  • Par ailleurs, la valeur d’un logement étant de plus en plus liée à sa performance énergétique (on observe des écarts de prix allant jusqu’à 28 % entre des biens comparables selon leur étiquette DPE), les passoires thermiques prises en caution au moment de l’octroi d’un prêt à l’habitat sont aujourd’hui dépréciées. Dans le cas français, où le crédit est fondé sur les revenus de l’emprunteur (loan to income) et non sur la valeur du bien (loan to value), ceci pourrait paraître secondaire, mais, si les défauts s’accumulent en raison de la volatilité des prix de l’énergie et que le cautionnement est activé, les banques risquent d’accuser des pertes importantes à la revente de ces biens.
  • Parce que la performance énergétique des bâtiments est fondamentalement un enjeu de stabilité financière, le superviseur – BCE / Banque de France – va exercer une pression croissante sur les banques pour qu’elles évaluent précisément leur exposition à ce risque en collectant les DPE associés à leurs portefeuilles de crédits immobiliers, et qu’elles préviennent ce risque en poussant la rénovation énergétique. Les crédits immobiliers représentent 1 300 milliards sur les 1 500 milliards d’encours des banques aux particuliers.

 

Les banques – en tout cas au niveau de leurs directions – ont conscience de l’enjeu stratégique derrière la rénovation énergétique et cherchent à accompagner leurs clients. Elles disposent de puissants leviers.

  • Au moment de l’acquisition, d’abord, lorsque les particuliers sont le plus enclins à engager des travaux. Près d’un million de crédits à l’habitat étaient encore octroyés en 2023 malgré des taux élevés et un marché immobilier en forte contraction. Les banques pourraient aussi décider de ne plus financer l’acquisition de passoires thermiques sans programme de rénovation énergétique. Pour l’heure, à l’exception de la banque en ligne Fortuneo, filiale du Crédit Mutuel-CIC, les établissements bancaires privilégient l’approche incitative en suggérant à l’emprunteur que des travaux énergétiques seraient opportuns. Et quand un particulier achète une passoire thermique pour la mettre en location sans conduire de travaux, les banques ne tiennent plus compte des revenus locatifs projetés dans l’analyse de solvabilité de l’emprunteur puisque le bien ne pourra plus être loué au-delà d’une certaine date (interdiction progressive de location des logements étiquetés G, F, E entre 2023 et 2034).
  • Hors acquisition, les banques, qui couvrent l’ensemble des territoires et de la population (35 000 agences, à mettre en regard des 550 espaces conseil France Rénov’) disposent également d’une importante marge d’action. Les conseillers bancaires sont légitimes à parler de rénovation énergétique à leurs clients, notamment sous l’angle de la préservation de la valeur de leur patrimoine immobilier, qui, le plus souvent, constitue l’essentiel de leur patrimoine. Les banques, en tant que tiers de confiance, peuvent aussi orienter leurs clients vers des partenaires (publics et privés) compétents pour un conseil technique, la réalisation de devis, la conduite des travaux. C’est le cas de la BNP, de la Société Générale, de BPCE et de La Banque Postale qui ont noué des partenariats avec, respectivement, Izi by EDF, Hello Watt, Cozynergy et Economie d’Energie. Toutes les banques développent par ailleurs des outils de sensibilisation (sites Internet, calculateurs d’économies d’énergie, etc.), proposent des offres de crédits spécifiques et distribuent l’éco-PTZ (même si un effort d’appropriation de ce prêt par les agents doit encore être fourni).

 

Au cours de l’après-midi, les banques ont appelé à travailler avec les pouvoirs publics sur 3 sujets :

1) La production d’un DPE en sortie de travaux. Malgré tous ses défauts, le DPE constitue une métrique fondamentale pour les banques. Elles en ont besoin pour leur reporting et pour piloter la décarbonation de leurs portefeuilles de crédits immobiliers. Cette donnée a des incidences très concrètes pour elles en termes de green asset ratio (part des encours verts dans leur bilan) et de taux de refinancement auprès de la BCE. Si depuis 2019-2021, les établissements de crédit collectent systématiquement le DPE au moment de l’acquisition, ils ignorent la performance énergétique du stock constitué avant cette date. Pour l’évaluer, ils peuvent s’appuyer sur la base ADEME et recourir à l’intelligence artificielle.
Bien que le système d’aides du parcours accompagné (MaPrimeRénov’ – MPR – rénovation d’ampleur) soit fondé sur le saut de classe DPE (2, 3, 4 ou plus) projeté dans l’audit énergétique réglementaire, les banques insistent sur la nécessité de disposer d’un DPE – pourtant moins exigeant et basé sur la même méthode de calcul conventionnel (3CL) que l’audit énergétique – en sortie de travaux pour intégration dans leurs systèmes. Certaines banques, comme la BNP ou le Crédit Agricole, ont même proposé à leurs clients de leur offrir le DPE en sortie de travaux. Sans grands succès. On pourrait dès lors imaginer que la production de ce document soit prise en charge par Mon Accompagnateur Rénov’ (MAR).

2) L’avance d’aides. Les aides sont un instrument de politique publique essentiel à la massification des rénovations performantes, qu’elles permettent de rendre (plus) attractives au plan économique et (plus) accessibles au plan financier (en abaissant les sommes à emprunter pour financer le reste à charge). Mais tous les bénéficiaires n’ont pas les moyens – loin s’en faut – de régler artisans et entreprises RGE avant leur versement. L’enjeu est d’autant plus grand que le barème des primes de l’ANAH a été significativement augmenté.
Depuis la réforme du 1er janvier en effet, les aides travaux du parcours accompagné (MPR rénovation d’ampleur) s’élèvent entre 12 000 euros (ménage aisé, gain de 2 classes, hors passoire énergétique) et 63 000 euros (ménage très modeste, gain de 4 classes ou plus, passoire énergétique). Si les ménages très modestes (TMO) et – nouveauté – les ménages modestes (MO) peuvent percevoir 70 % du montant de leur prime à l’avance (les 30 % restants représentant une difficulté insurmontable pour certains), les autres ménages n’y ont pas droit. Les catégories intermédiaires (déciles 5, 6 et 7) notamment, qui souhaiteraient mener une rénovation énergétique à 4 sauts de classe sur une passoire, bénéficient d’une aide de 42 000 euros. Une somme qui, sans aucune avance, peut être rédhibitoire.
Conscientes du problème, les banques proposent des prêts conso à prix coûtant, c’est-à-dire aux taux auxquels elles-mêmes se financent, pour couvrir l’avance des aides. Un groupe se distingue en la matière : le Crédit Mutuel-CIC, qui a lancé en juin le Préfinancement Aides Rénovation, une offre qui couvre jusqu’à 65 000 euros d’avances d’aides, soit l’intégralité du montant maximal des primes de l’ANAH (63 000 euros pour les travaux et 2 000 euros pour l’accompagnement), à taux 0. La banque devient mandataire, et perçoit directement les primes ANAH.
Pour résoudre la question des avances d’aides, artisans et entreprises RGE peuvent également se rendre mandataires de leurs clients : ils avancent les aides sur leur trésorerie et perçoivent ensuite ces aides de l’ANAH. Mais des délais de paiement et l’augmentation des primes en jeu ont pu conduire certains à mettre la clé sous la porte. Là aussi, les banques pourraient avancer la trésorerie aux acteurs RGE mandataires, mais elles ont besoin d’une Dailly (mode simplifié de cession de créances), qu’elles n’arrivent pas – pour l’instant – à obtenir des agences de l’État.

3) Le parcours client. On l’a vu, les banques participent de l’offre de rénovation énergétique, au-delà de leur seul rôle de financeurs, à travers notamment la mise en place de partenariats avec des entreprises de travaux. Mais des progrès restent à faire pour agencer au mieux ces initiatives avec les dispositifs publics (en particulier avec MAR), supprimer les doublons et combler les lacunes. Nous avons ainsi souhaité mettre en valeur, à l’occasion de notre après-midi d’étude, le parcours élaboré par la Caisse d’Épargne Rhône-Alpes (CERA), pour montrer à quoi pouvait ressembler une alliance efficace entre établissements bancaires et service public de la rénovation énergétique.
D’un côté, la CERA a créé, au niveau du siège à Lyon, une cellule pour animer son réseau de 280 agences et traiter, dès le départ, les aspects réglementaires des éco-PTZ. De l’autre, elle a noué un partenariat avec les espaces conseils France Rénov’ du territoire et avec des entreprises de travaux locales. Les clients sont mis en relation, s’ils sont d’accord, avec le service public de la rénovation énergétique, qui n’a pas d’intérêt commercial, qui est gratuit et qui a une vision globale de la rénovation énergétique. Un conseiller France Rénov’ les contacte alors dans les 2 ou 3 jours. Puis l’agence bancaire les rappelle pour savoir s’ils ont décidé de se lancer et s’assurer qu’ils ont trouvé les entreprises pour réaliser devis et travaux. Si ce n’est pas le cas, la banque leur soumet une liste d’entreprises partenaires, et s’occupe ensuite du financement.
La mise en place de ce parcours a permis d’atteindre un taux de conversion de 55 % chez les clients orientés vers France Rénov’, parmi lesquels près d’un tiers ont procédé à une rénovation performante.

Ces 3 points (DPE en sortie de travaux, avance d’aides par les banques et clarifications sur le parcours client) seront traités dans le cadre du programme FiRéno+ et, plus particulièrement, du groupe de travail “Articulation des dispositifs bancaires et des dispositifs publics” qu’Agir pour le climat animera au cours des prochains mois. Le programme FiRéno+, porté par le consortium ADEME / 2DI / Res Publica et co-financé par la Commission européenne, réunit les parties prenantes du financement pour accroître l’investissement dans la rénovation performante. ANAH et Direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP) y sont représentées aux côtés des acteurs bancaires.

*Intervenants et supports de présentation :

  • Simon Akriche, chef du bureau des aides financières à la Direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP / DGALN)
  • Pierre Bocquet, directeur banque de détail et banque à distance à la Fédération bancaire française (FBF)
  • Laurent Bortoli, directeur crédits de La Banque Postale
  • Jérôme Coulaud, directeur des solutions immobilières Caisse d’Epargne Rhône-Alpes (CERA)
  • Martine Lassègues-Guiollot, directrice adjointe développement durable banque de détail en France de la Société Générale
  • Sébastien Perrigault, directeur domaine crédits immobiliers de BNP Paribas
  • Françoise Réfabert, co-dirigeante d’Énergies Demain
  • Jean-Sylvain Ruggiu, directeur des transitions sociétale et environnementale, pôle banque de proximité et assurances de BPCE
  • Vincent Steinhauser, directeur marché des particuliers du Crédit Agricole
  • Thien Vo-Weissberg, chargée de projets crédit habitat du Crédit Mutuel-CIC
  • Régis Vogliazzo, chargé de mobilisation des professionnels de l’immobilier et du bâtiment pour la rénovation de l’habitat à l’ADEME
  • Tableaux des aides financières 2024 de l’ANAH