Le 12 avril, au cours de la soirée de soutien au collectif Les Soulèvements de la Terre, la coprésidente (groupe 1) du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), Valérie Masson-Delmotte, a indiqué sortir de sa réserve et exercer son droit à la liberté d’expression comme scientifique et comme citoyenne.
En préambule de son intervention, Valérie Masson-Delmotte a clairement déclaré son rejet de toute forme de violence : « Je ne me reconnais pas dans une société où le dialogue est impossible, et où la violence mène à la violence ». Elle plaçait sa prise de parole sous le thème de la Gravité. Gravité des impacts actuels et à venir du changement climatique, gravité de l’absence d’une véritable stratégie politique pour y répondre.
Les scientifiques éclairent, les politiques décident. Mais maintenant, les scientifiques entrent en colère. Cela fait des décennies qu’ils disent et démontrent. Tout ce qu’ils projetaient il y a plus de vingt ans se vérifie et se vit maintenant. Dans les années 2000, nous pouvions accorder que les présentations de ces données scientifiques dépassaient l’entendement du plus grand nombre des décideurs politiques. Mais aujourd’hui, celles et ceux qui administrent toute notre collectivité, de la plus petite des communes à l’État, savent. Si cela n’est pas le cas pour certains, c’est grave. Et pour celles et ceux qui savent et qui n’agissent pas en conséquence, c’est encore plus grave.
Le 17 avril, son collègue Christophe Cassoux, auteur du 6e rapport du GIEC, la rejoignait dans une interview sur France Inter. Il condamnait aussi la violence, d’autant que le débat autour de celle-ci occulte les échanges sur le fond, nécessaires pour coconstruire les réponses à l’urgence climatique. Il exposait posément : « Nous sommes à un moment pivot, et les décisions politiques ne sont pas à la hauteur ; on est entré dans le dur et on voit bien que les mesures sont cosmétiques… Le rôle des scientifiques est de le dire. »
Nous connaissons la justesse et la pondération de Valérie Masson-Delmotte et de Christophe Cassoux. Ces prises de position sont dignes et précieuses. Nous avançons, allègrement, vers un réchauffement en France de + 3° C entre 2050 et 2060. L’été 2022 pourrait être perçu comme un été froid ! Il est urgent d’abandonner des projets qui ne répondent pas aux objectifs de réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre et à la sobriété énergétique.
Effectivement, cela va susciter des débats, des oppositions. Mais le seul cap à tenir est celui de la neutralité carbone en 2050. Cela va même engendrer des affrontements détestables. Ainsi, en Morbihan, le premier syndicat agricole français, la FNSEA, demande au Préfet de retirer toute subvention publique et toute représentativité à son concurrent, la Confédération paysanne. La raison de cette demande est l’opposition affirmée de cette dernière aux projets de mégabassines et d’extension d’élevages industriels. Clairement, ces projets prennent une voie opposée au chemin vers la neutralité carbone.
Faut-il, comme le dit Edgar Morin, des catastrophes pour que nos décideurs politiques, englués dans le néolibéralisme, prennent réellement conscience de la situation ? Le salut de celles et ceux qui vont vivre la seconde moitié de ce siècle doit-il passer « par une approche de l’abîme pour aller vers le salut ? ». Sasha, 22 ans, du collectif Dernière rénovation, répondait au sage sociologue qu’elle plaçait son espoir dans la prise de conscience collective : « Il ne faut pas penser que dans les 2 à 3 prochaines années il va y avoir un déclic sans qu’on aille le chercher ».
Dans les manifestations contre le projet de loi sur les retraites, des jeunes dansaient en chantant : « Pas de retraités sur des pavés brulés, retraite – climat même combat ». Le changement climatique va profondément modifier l’environnement du travail. Et comme le déplorait Rémi Barroux dans le Monde du 26 février « Rien dans le dernier rapport, daté de septembre 2022, du Conseil d’orientation des retraites (COR) qui fasse état des bouleversements attendus par nos sociétés. Pourtant, l’augmentation des températures et la multiplication des canicules vont profondément changer les conditions de travail, les rendant plus pénibles, impactant les organismes, voire, à terme, modifiant les espérances de vie ».
Devons-nous user de nos batteries de cuisine comme d’une arme sonore d’alerte pour être entendus des décideurs politiques, pour que chaque action engagée soit conforme à l’objectif de neutralité carbone ?
Comme le proposaient nos amis du groupe de Rennes, indiquez-nous tous les projets financés par de l’argent public qui ne participent pas à la réduction des émissions de gaz à effet de serre ou, pire, qui contribuent à l’augmentation des émissions(1).
À Agir pour le climat, nous pensons comme Valérie Masson-Delmotte : « Oui, face à l’urgence climatique, il est essentiel que les réponses soient coconstruites intelligemment, en s’appuyant sur les avancées technologiques, sur la sobriété, sur la préservation des écosystèmes, de manière adaptée à chaque contexte. Pour être efficace, l’action pour le climat, pour la biodiversité, doit être juste, inclusive et basée sur le partage des connaissances. Disposer d’éléments factuels peut permettre de réconcilier des intérêts, des valeurs, des visions du monde divergentes pour coconstruire des actions dont les résultats soient perçus comme équitables, justes, dont la légitimité soit reconnue ».
(1) Envoyez vos messages à edouard.bouin@agirpourleclimat.net