Elle était attendue. Mercredi 15 décembre, la Commission a dévoilé sa proposition de révision de la directive sur la performance énergétique des bâtiments (DPEB) ou energy performance in buildings directive (EPBD) en anglais. Celle-ci vise à mettre en conformité les règles du secteur du bâtiment – premier consommateur d’énergie (40%) et premier émetteur de gaz à effet de serre (36%) dans l’UE – avec le Green Deal (neutralité carbone en 2050 et réduction des émissions de gaz à effet de serre de 55% en 2030 par rapport à 1990). La proposition intègre à ce titre le paquet « Fit for 55 » présenté en juillet 2021.
Au registre des constructions neuves, la révision proposée par la Commission prévoit l’établissement de la nouvelle norme « émissions nulles » d’ici 2027 pour les bâtiments publics, 2030 pour les bâtiments privés. Elle remplacera la norme « nearly zero-energy ». Le critère de performance énergétique ne changera pas (espérons), mais l’énergie utilisée par les nouvelles constructions devra être décarbonée et, autant que possible, produite sur site par des ENR.
L’essentiel de la décarbonation repose cependant sur le parc immobilier existant puisque 85% de nos bâtiments seront toujours utilisés en 2050. A cet égard, la proposition de révision de la directive apparaît comme la traduction législative de la Vague de rénovations (Renovation Wave en anglais), stratégie publiée par la Commission en octobre 2020, mais qui n’a pas de valeur juridique.
Rappelons les objectifs fixés par cette stratégie : 35 millions d’unités de bâtiment rénovées en 10 ans, doublement – a minima – du taux de rénovation annuel d’ici 2030 (il est actuellement de 1%), accent porté sur les rénovations profondes (entraînant des économies d’énergie d’au moins 60%, elles représentent aujourd’hui 1 rénovation sur 5) et diminution de la consommation d’énergie de 14% par rapport à 2015. Rappelons aussi que ces objectifs, qui réclament déjà des efforts considérables, ne seront pas suffisants pour réduire de 60% les émissions de GES du secteur à horizon 2030 par rapport à 2015, comme le texte le prévoit. Il faudrait pour cela – ce sont les chiffres de l’Institut européen de la performance énergétique des bâtiments (BPIE) – viser une réduction de la consommation énergétique de 24,8% d’ici 2030 et atteindre un taux de rénovation profonde annuel de 3% au plus tôt.
Pour doper la rénovation, la Commission propose d’introduire une nouveauté : les normes de performance énergétique minimale, plus connues sous leur acronyme anglais de « MEPS » (minimum energy performance standards). C’est l’élément le plus important du texte : jusqu’à présent, seules les constructions neuves devaient répondre à des critères de performance, ils concerneront désormais aussi les bâtiments existants.
La proposition de la Commission prévoit ainsi que les unités de bâtiment non-résidentielles (bureaux, établissements scolaires, hôpitaux, administrations, etc.) de classe G (définies comme les 15% les moins performantes des parcs immobiliers nationaux) soient améliorées d’une classe énergétique au moins (classe F) d’ici 2027. Cette règle s’appliquera aux unités de bâtiment résidentielles (logement individuel et collectif) d’ici 2030. Les certificats de performance énergétique, présents depuis 2002, devront être généralisés et harmonisés entre Etats Membres : de A à G. Ils devront apparaître sur tous les bâtiments publics et sur les annonces proposant à la vente ou à la location des unités de bâtiment privées avant 2025.
« La démarche consistant à relever progressivement les obligations de performance et donc à rénover « par étapes » est une impasse. »
Les informations sur la performance énergétique des bâtiments, leur accessibilité et l’extension du champ réglementaire au parc existant sont des éléments décisifs. Néanmoins, la démarche consistant à relever progressivement les obligations de performance et donc à rénover « par étapes » les unités de bâtiment en espérant parvenir in fine à un parc de classe A en 2050 est une impasse, qui a fait la preuve de son échec. C’est dès le moment où elles s’appliquent à une classe de bâtiment que les normes doivent viser la performance énergétique maximale, aussi bien pour des raisons techniques que financières :
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- Si elle est mal planifiée, la rénovation par étapes tuera le gisement et ne permettra plus de gagner en performance par la suite. Pour articuler correctement les différentes phases de travaux sur la durée, la révision de directive propose l’instauration d’un « passeport rénovation ». On sait néanmoins qu’au-delà de 2 étapes, il devient pratiquement impossible de gérer correctement les interfaces ;
- Nous n’avons plus le temps aujourd’hui de nous y prendre à plusieurs reprises pour traiter les unités de bâtiments ;
- Les ménages accepteront plus difficilement d’être dérangés plusieurs fois ;
- Les coûts de réinstallation du chantier augmenteront le coût total de la rénovation ;
- Les économies d’énergie ne sont pas linéaires par rapport à l’investissement : une première tranche de travaux à 15 000 euros n’aboutira pas « simplement » à une performance 3 fois moins importante qu’une rénovation globale à 45 000 euros. Les économies d’énergie d’une rénovation complète ne se réduisent pas à la somme des économies d’énergie obtenues par chaque geste pris individuellement. En conduisant des rénovations par étapes, nous nous privons d’un levier majeur de financement, ce qui pénalisera d’abord les ménages modestes.
Lors de la conférence de presse, Frans Timmermans, vice-Président de la Commission en charge du Green Deal, et Kadri Simson, Commissaire à l’énergie, ont souligné à juste titre les très nombreux bénéfices de la rénovation énergétique, au plan macroéconomique et individuel (bénéfices que tous les gouvernements devraient avoir à l’esprit lorsqu’ils arbitrent entre décarbonation et efficacité énergétique) : création d’emplois non délocalisables, stimulation de l’activité (portée majoritairement par les TPE et les PME dans le secteur du bâtiment), lutte contre la précarité énergétique et les inégalités (la part des dépenses énergétiques dans le budget des ménages modestes est bien plus importante que celle des ménages aisés), préservation du pouvoir d’achat face à l’augmentation des prix de l’énergie, amélioration de la qualité de l’air, réduction des dépenses de santé… Mais les 2 membres de l’exécutif européen ont oublié de préciser que pour bénéficier véritablement de ces retombées (si formidables, soit dit en passant, qu’elles justifieraient une prise en charge intégrale de l’investissement par la puissance publique), les rénovations devaient être complètes et performantes. C’est cet indicateur de rénovation qui doit être la boussole de tous les dispositifs de soutien public et de toutes les offres de financement bancaires. Le chantier européen de la rénovation énergétique est un magnifique chantier, veillons à ce que son précieux potentiel ne soit pas dilapidé en l’engageant et en le conduisant comme il se doit.