Gel, sécheresse, canicule, grêle, foudre, pluies diluviennes, tornades, incendies. En ce début d’année 2022, le ciel nous tombe sur la tête. Et plus durement encore sur la tête de nos paysans. Tandis que les prix des contrats d’assurances bondissent, l’État prévoit une réforme de la loi « assurance-récolte » qui aura pour effet une plus grande dépendance des paysans aux assureurs privés. Explications par Edouard Bouin.
Permettez-moi de débuter cet article en relatant un fait personnel. Comme chaque semaine je me rends de Lorient à Rennes en train. Le trajet est d’une heure et quarante minutes. Le dernier a pris quatre heures et trente minutes. Les coupables sont les pluies diluviennes qui ont entraîné un pan de terre sur les voies.
Enfin arrivé en gare de la métropole, les transports en commun sont devenus rares. Trouver un taxi est complexe. La SNCF les a accaparés pour véhiculer des personnes n’ayant plus de correspondances vers Saint-Malo, Saint-Brieuc… Roissy. D’autres naufragés du rail sont hébergés dans des hôtels. Le chauffeur d’un taxi qui enfin me transporte dit que depuis une semaine tous les passagers lui parlent de climat. « C’est nouveau, dit-il ! ».
Les scientifiques, relayés par les ONG, disaient la chose depuis des années. La grande partie de la population découvre et vit ce qu’elle ne voulait pas croire, pas entendre. Les assureurs s’inquiètent. Entre 1988 et 2014, les aléas climatiques leur ont coûté 48 milliards en métropole. Pour la période 1989-2018 (quatre années de plus), la somme est de 74,1 milliards. Elle pourrait-être de 143 milliards pour celle concernant 2020-2049.
L’agriculture est en première ligne face au dérèglement climatique. Déjà, sans ces aléas (qui détruisent les vergers, les vignes, les grandes cultures, le maraîchage, qui assèchent les pâturages et brûlent les forêts), le changement climatique modifie les volumes et la qualité des productions agricoles. De nombreuses céréales perdent en productivité dès que la température dépasse les 30° C (Inrae).
En corrélation avec la hausse des températures, la production d’ozone troposphérique modifie négativement leur production, mais aussi celles de nombreux autres végétaux. Une étude de L’ADEME (Agence de la transition écologique) et de l’Ineris (Institut national de l’environnement industriel et des risques) intitulé « Coût économique pour l’agriculture des impacts de la pollution de l’air par l’ozone », estime qu’en 2010, la part de la production de blé tendre perdue du fait de cette pollution s’élève à 15 %, soit une valeur de 1 milliard d’euros. Cette même année, la production fourragère des prairies a chuté de la même valeur, celle des pommes de terre de 200 millions d’euros.
De nombreux agriculteurs (ici à Saint-Bruno) ont vu leurs récoltes ruinées par la grêle
Évidemment, ce n’est pas nouveau que nos paysans enregistrent des pertes liées aux aléas climatiques. Dès 1960, l’État mettait en place un dispositif d’aide pour celles et ceux qui perdaient plus de 30 % de leur production. L’indemnisation de ce Régime des calamités agricoles se situe entre 12 % et 35 %. Ces variations sont la résultante du type de production dans un barème départementalisé. Le délai d’indemnisation est proche de un an, une difficulté supplémentaire pour de nombreux paysans à la trésorerie limitée.
Depuis les années 2000, une assurance privée peut être souscrite : l’assurance récolte. Une partie est financée par la PAC (Politique agricole commune européenne). L’assurance prend en charge 70 à 80 % des pertes à partir des 20 % de pertes. Mais ces contrats ont un coût pour les assureurs, qui disent que la croissance, années après années, du volume des indemnités, leur fait perdre de l’argent. Le montant des contrats d’assurance vient de bondir en moyenne de 18 % en 2022. Leur nombre ne tient que par la subvention PAC. Beaucoup d’agriculteurs ne pourraient les souscrire sans ces aides. Et même avec ces aides, seules 30% des terres agricoles françaises sont assurées. Certains secteurs, comme l’arboriculture, le maraîchage paysan, l’apiculture notamment, ne sont que peu ou pas couverts.
Cette montée en puissance de l’assurance privée s’effectue au détriment de la solidarité nationale. En 2021, le gouvernement, dans le cadre du Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique, a modifié le régime des calamités (ou loi « assurance-récolte »). Comme précédemment, il n’y a pas d’indemnisation en dessous de 30 % de perte. La nouveauté réside dans une nouvelle tranche de 30 à 50 %. Elle est uniquement prise en charge par les assurances privées. Au-delà, l’État intervient, mais l’indemnité sera plus faible pour celles et ceux qui ne seront pas assurés. Cette réforme de la loi « assurance-récolte » entrera en vigueur en 2023 et l’objectif affiché d’ici 2030 : amener le plus grand nombre à souscrire des assurances privées. Mais le volume des aides PAC à partager sera trop faible pour faire face à la hausse des tarifs. De nombreux paysans ne pourront pas se payer cette couverture assurantielle. Rappelons-nous que 30 % des paysans gagnent moins de 10 000 € par an !
Cette orientation où la solidarité nationale s’efface devant le marché porte de grands risques. Les petits paysans non assurés disparaîtront et leurs terres seront reprises pour l’agrandissement d’exploitations existantes dont les pratiques sont trop souvent contraires à l’atténuation climatique. Pour le climat, il faut recréer les paysages de haies sur talus avec fossé, retirer les drainages et restaurer les prairies humides, ainsi que les zones humides, remettre les cours d’eau dans leur lit avant rectification, développer la matière organique du sol pour retenir de l’eau. Il est impératif de modifier rapidement les pratiques agricoles trop gourmandes en eau, mais cela est très généralement perçu par les tenants du système agricole comme contraire à une production intensive.
Face au risque croissant de faillites d’exploitations liées aux aléas climatiques, l’Etat doit veiller sur ses agriculteurs et garantir la souveraineté alimentaire du territoire. Confier aux assurances privées et à l’instabilité des marchés, la survie des acteurs de la production alimentaire nationale, serait bien mal avisé.