Andreas Rüdinger est consultant indépendant et chercheur associé à l’Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales). Il a rejoint l’Iddri en 2011, après des études de sciences politiques en France, Allemagne et Colombie. Son expertise couvre les stratégies et outils politiques de la transition énergétique à l’échelle locale, nationale et européenne. Il travaille sur les politiques d’efficacité énergétique depuis dix ans et a publié plusieurs études sur les politiques de rénovation énergétique en France, en Allemagne et au Royaume-Uni, ainsi que sur les enjeux de financement de la transition énergétique.
Bonjour Andreas, est-ce que tu peux nous dire un mot du projet que tu pilotes actuellement avec Albane Gaspard, de l’Ademe ?
Avec le soutien de l’Ademe, l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) a lancé en 2020 une nouvelle plateforme d’experts sur la rénovation énergétique des logements. Cette initiative rassemble à ce stade une vingtaine de participants, principalement issus de think tanks et d’instituts de recherche.
Cette initiative est née d’un triple constat :
Tout d’abord, sur l’urgence à accélérer la trajectoire face au retard accumulé en matière de rénovation énergétique, considérant à la fois les objectifs énergétiques, climatiques et de lutte contre la précarité énergétique.
Ensuite, sur la nécessité de mettre en lumière le consensus grandissant entre experts de différents bords sur les solutions à mettre en œuvre pour accélérer la dynamique existante, en particulier sur la massification des rénovations performantes.
Enfin, sur le besoin d’élaboration d’une vision systémique : on assiste à une multiplication des propositions de politiques publiques, pour la plupart très pertinentes, mais visant le plus souvent à répondre à un enjeu précis ou à traiter un segment du parc de logements. D’où la tentative de créer une vision d’ensemble, permettant de structurer les priorités et les enjeux, pour combiner les différentes idées et approches au sein d’une vision stratégique nouvelle.
L’objectif de ce projet est donc d’aboutir à cette vision stratégique et à des recommandations politiques opérationnelles, idéalement partagées et portées par l’ensemble des experts. Après une première phase d’analyse et d’élaboration des propositions au sein du groupe, nous espérons pouvoir mettre en débat ces travaux avec toutes les parties prenantes au courant du 2nd semestre 2021.
Comment expliquer l’écart catastrophique entre nos objectifs et le nombre de rénovations BBC effectuées dans le secteur résidentiel chaque année (700 000 visées contre 50 000 réalisées environ) ?
C’est l’un des grands paradoxes des politiques de rénovation énergétique françaises. Nous avons un objectif clair et ambitieux visant à atteindre un parc de logements au niveau « BBC » (bâtiment basse consommation) en moyenne d’ici 2050, ce qui suppose d’atteindre (voire de dépasser) ce niveau de performance sur une grande majorité des rénovations. Or, à ce stade, aucun outil de soutien national n’est conditionné à l’atteinte de cet objectif de performance et le marché des rénovations très performantes a du mal à se structurer.
L’orientation politique actuelle penche clairement du côté de la multiplication des « petits » gestes de travaux (remplacement de chaudières, isolation des combles, etc.), au détriment des rénovations de qualité visant à traiter tous les composants du bâti. Le rapport de la task force Sichel publié en mars 2021 l’indique très clairement : « [L]es aides à la rénovation globale sont dans la très grande majorité des cas moins intéressantes que les aides geste par geste ».
L’erreur à ne pas commettre consiste à simplement rajouter une petite « prime » à l’atteinte du niveau BBC, tout en gardant un système d’aides qui reste ciblé sur la logique geste par geste. Ça ne marchera pas. Il faut au contraire restructurer tout le dispositif autour du principe de progressivité en fonction de la performance énergétique atteinte, en phase avec la hiérarchie des solutions qui s’impose : d’abord inciter au maximum les ménages à réaliser des rénovations performantes et globales (réalisées en une seule fois) ; si ce n’est pas possible, s’assurer que les travaux s’inscrivent dans un parcours visant à atteindre un haut niveau de performance par étapes ; enfin, proposer des aides « geste par geste » réduites, ciblant les ménages modestes.
Sans une réorientation claire de tous les dispositifs en faveur des rénovations très performantes, on aura bien du mal à encourager tous les acteurs à structurer ce marché, qui reste complexe.
Comment utiliser les fonds de relance pour préparer réellement le chantier de la rénovation énergétique complète et performante de notre parc immobilier ?
C’est une question difficile, puisqu’elle impose de trouver un équilibre entre deux logiques potentiellement contradictoires.
D’un côté, le plan de relance vise à augmenter le plus rapidement possible le niveau d’activité en s’appuyant sur les dispositifs existants pour agir au plus vite. De l’autre côté, les plans de relance sont une occasion en or pour déclencher des transformations structurelles. Autrement dit : ne pas juste « booster » le marché de façon conjoncturelle en gardant les mêmes principes d’action, mais élaborer les outils permettant de se mettre sur une trajectoire différente, en visant notamment à structurer le marché de la rénovation performante qui reste embryonnaire aujourd’hui. Mais le souci, c’est que ça prend plus de temps pour montrer ses effets.
De manière schématique, on reste enfermé dans le dilemme classique entre considérations court-termistes et vision stratégique à plus long terme. Le constat que l’on peut faire à ce stade, c’est que les politiques de relance penchent plutôt du premier côté. Sur les 7 milliards d’euros fléchés par le plan France Relance sur la rénovation énergétique, seuls les 500 millions d’euros ciblés sur les rénovations lourdes dans le logement social s’inscrivent partiellement dans cette logique de structuration du marché des rénovations très performantes, autour de la volonté de multiplier les initiatives du type Energiesprong par exemple. Pour le reste, on se contente d’augmenter le budget des outils existants, ce qui veut également dire amplifier leur biais en faveur de la multiplication des petits travaux.
La structuration d’une filière des rénovations très performantes constitue un enjeu clé pour la réussite des transitions énergétiques en France et en Europe. Et cela exige des financements et des signaux politiques massifs du côté de l’offre (formation des professionnels, innovations dans les process, garanties de qualité) comme du côté de la demande (subventions ciblées sur le BBC, dispositifs de financement innovants pour le reste à charge, tiers-financement, accompagnement).
Ce sujet a été rappelé par les travaux de la commission Sichel et on ne peut qu’espérer qu’il sera repris par les parlementaires dans le cadre de l’adoption du projet de loi « climat et résilience » actuellement en débat, qui intègre non seulement une définition (ardemment débattue) de la rénovation performante, mais devrait également intégrer pour la première fois le principe de conditionnement des aides publiques à l’atteinte de ce niveau de performance. Affaire à suivre.
Propos recueillis par Lucas Chabalier