Si le combat pour la protection du climat progresse, nous ne sommes pas encore sur la trajectoire de l’accord de Paris, qui limiterait le réchauffement de notre planète sous 2° C d’ici la fin du siècle. La transition écologique est nécessaire pour préserver un monde habitable. Elle implique à la fois l’abandon des énergies fossiles et la mutation de l’agriculture et de la forêt, soit le carbone vivant. À l’aube de la COP 28, qui aura lieu à Dubaï, nous avons posé 3 questions à Christian de Perthuis, professeur d’économie, fondateur de la chaire Économie du climat à l’université Paris Dauphine et auteur de Carbone fossile, carbone vivant (Gallimard), afin de nous éclairer sur ces thématiques.
Nous sommes à la veille de la 28e COP. Quel bilan tirez-vous de ces grands rendez-vous diplomatiques ? Ont-ils influencé les politiques publiques des grands pays émetteurs, notamment l’UE ? Le Giec inspire-t-il les COP ?
Dans les COP, tous les pays du monde sont représentés. Chacun, grand ou petit, riche ou pauvre, dispose du même temps de parole. Les décisions sont prises au consensus. C’est l’un des rares lieux où la voix d’un État insulaire ou d’un pays moins avancé pèse autant que celle de la Chine ou des États-Unis. Le revers de la médaille est la lourdeur des prises de décisions, le poids excessif donné aux minorités de blocage et l’impression d’une “course de lenteur” des négociateurs face à l’urgence climatique.
Quand on prend du recul, le bilan est différent. Depuis la première COP, tenue à Berlin en 1994 sous la présidence d’une jeune ministre de l’environnement alors inconnue du public – Angela Merkel – beaucoup de chemin a été parcouru. Les COP sont le lieu où les messages de la communauté scientifique sont transmis aux gouvernements via le GIEC. Le protocole de Kyoto (COP3 en 1997), malgré ses imperfections, a introduit des objectifs contraignants de réduction des émissions pour les pays développés. L’accord de Paris (COP21 en 2015) a mis en place le système des “contributions nationales déterminées” (NDCs suivant l’acronyme anglais) qui concernent l’ensemble des pays et qui doivent être révisés tous les cinq ans en mettant plus de contrainte sur les émissions.
Les COP ont été un catalyseur de l’action climatique en Europe. Lors de la négociation de l’accord de Paris, l’UE s’est accordée sur un objectif initial de réduction de 40 % de l’ensemble de ses émissions entre 1990 et 2030. En décembre 2020, cet objectif, déposé sur le registre des Nations Unies, a été porté à -55 %. Aurions-nous été aussi ambitieux sans l’existence des COP et la pression des pays moins avancés qui ne manquent pas de nous rappeler à nos responsabilités ?
La tarification des émissions de GES semble de plus en plus incontournable pour aboutir à la neutralité climat mais fait peur aux politiques. Comment la rendre redistributive et la transition écologique socialement équitable ?
Avec le système des quotas de CO2 qui plafonne les émissions de l’industrie lourde et de l’énergie, l’UE a mis en place en 2005 le plus grand système de tarification carbone au monde. Si vous regardez la courbe de ses émissions, vous verrez que 2005 marque un point de retournement depuis lequel les émissions ont baissé de plus d’un quart. Le passage à l’objectif de -55 % a fait remonter le prix du quota au-dessus de 80 € la tonne. La gestion des impacts redistributifs est le point le plus complexe. Il concerne le prix de l’électricité et du gaz réglé par les ménages, le passage aux enchères pour les quotas actuellement distribués gratuitement aux industriels, et bientôt, l’épineuse question du prix des carburants quand le système aura été élargi aux émissions diffuses.
Carbone fossile, carbone vivant, c’est le titre de votre dernier ouvrage (édition Gallimard). Le carbone vivant est-il un puits de carbone ou un émetteur de GES ? Une nouvelle économie très différente de l’économie du carbone fossile ?
La tarification carbone dont nous venons de parler fonctionne bien pour le carbone fossile car elle renchérit le coût d’usage de l’énergie fossile sans accroître la rente des producteurs. Elle ne fonctionne pas pour le carbone vivant. Réduire les émissions spécifiques de l’agriculture (méthane et protoxyde d’azote) et protéger les puits de carbone impliquent de réinvestir dans la diversité du vivant dans une logique de bioéconomie.
La prochaine révolution agricole sera celle de l’agroécologie qui consiste à s’écarter des schémas productivistes à base de spécialisation excessive des productions, de chimisation et de sélection d’un matériel vivant toujours plus homogène, pour adopter des méthodes qui prennent appui sur la diversité du vivant pour produire mieux et souvent de façon intensive à l’hectare. Car attention : la clef de la lutte contre la déforestation passe par une réorientation des systèmes agricoles dont l’extension est la première source de déforestation dans le monde. Si on bascule vers des systèmes agricoles extensifs, on aura besoin de plus d’hectares pour assurer la sécurité alimentaire ce qui accroîtra la pression sur les forêts.
Les puits de carbone continuent d’absorber du CO2, mais les signaux de leur affaiblissement se multiplient. L’impact anthropique de la déforestation tropicale est bien connu. Mais de dangereuses rétroactions climatiques apparaissent. En France, l’affaiblissement du puits de carbone forestier sur la dernière décennie est spectaculaire alors que les forêts continuent de s’étendre. Il est provoqué par les sécheresses à répétition, les tempêtes, les incendies et surtout la remontée des insectes et autres invasifs qui s’adaptent au réchauffement. Pour le puits de carbone océanique l’information manque cruellement. Dans les inventaires d’émission, on ne calcule pas les échanges de CO2 entre l’océan et l’atmosphère. Les océans sont un véritable angle mort des politiques climatiques.