Le 4 octobre, la mission d’information commune de l’Assemblée nationale sur la rénovation énergétique des bâtiments a publié son rapport. Pour massifier la rénovation performante des logements, l’État doit mettre beaucoup plus d’argent sur la table et les banques doivent s’impliquer bien davantage dans le financement du reste à charge. Nous avons interrogé la co-rapporteure de cette mission, Julie Laernoes, députée écologiste de la 4e circonscription de Loire-Atlantique et membre de la commission des Affaires économiques.
Pourquoi publier un nouveau rapport sur la rénovation énergétique des bâtiments, trois mois après celui de la commission d’enquête du Sénat ? Dans quelle mesure vos conclusions recoupent-elles ou s’écartent-elles de celles de vos collègues sénateurs ?
En France, les émissions du secteur du bâtiment représentent près de 20 % des émissions de gaz à effet de serre. Les Françaises et les Français dépensent en moyenne plus de 1 600 euros en énergie pour leur logement et plus de 3 millions d’entre eux vivent en situation de précarité énergétique. Pour atteindre la neutralité carbone en 2050, protéger les Français face à la fluctuation des prix de l’énergie et éliminer la précarité énergétique, la rénovation énergétique représente donc un chantier prioritaire.
C’est d’ailleurs pour cela que le législateur a fixé dans la loi des échéances et des objectifs ambitieux en la matière, depuis une dizaine d’années. Des objectifs qui, de surcroît, ont récemment été réaffirmés par le Secrétaire général à la planification écologique (SGPE) dans son document de planification dans les bâtiments. Cependant, ils ne sont toujours pas atteints… Depuis plus de 10 ans, nous échouons toujours à remplir ces objectifs et accusons un retard de plus en plus grand. Alors que nous devons réaliser 370 000 rénovations performantes par an jusqu’à 2030 et 900 000 au-delà, ce sont seulement 66 000 rénovations qui ont été réalisées en 2022.
À ce rythme, jamais nous ne réussirons à rénover de manière globale et performante 95 % du parc de logement d’ici à 2050, indispensable pour assurer la décarbonation du secteur du bâtiment. Et c’est partant de ce constat d’échec qu’à l’initiative du groupe Écologiste, une commission d’enquête a été lancée au Sénat en janvier dernier.
De notre côté, à l’Assemblée nationale, après les discussions infructueuses lors de l’examen du budget 2022 de l’État (où nous avions déposé deux amendements pour rehausser significativement le budget de la politique publique de rénovation, adoptés dans l’hémicycle, puis effacés par le 49.3 du gouvernement), nous avons lancé début avril une mission d’information sur le sujet. La volonté étant la même : réussir à travailler collectivement pour identifier les freins à lever et proposer des solutions concrètes pour transformer les ambitions en actions et enfin massifier les rénovations.
La majorité de nos conclusions rejoignent celles de nos collègues sénateurs. Aussi aujourd’hui, pour mettre en valeur et donner du poids à ces convergences entre nos deux Chambres sur ce sujet écologique et social fondamental, nous avons engagé un travail commun pour définir les suites que nous souhaitons donner à ces rapports, notamment pour que le gouvernement s’en saisisse réellement, mais aussi pour élaborer une ou des propositions de loi transpartisanes et pousser encore davantage nos réflexions pour affiner certaines de nos propositions.
Vous chiffrez à 14 milliards d’euros l’effort budgétaire annuel que l’État devrait fournir en plus d’ici 2030. Pouvez-vous nous expliquer ce que recouvre cette somme ?
L’effort public doit continuer à être fortement soutenu même dans un contexte budgétaire difficile. Même si les financements directs apportés par l’État progressent d’année en année (8,6 milliards d’euros en 2022), ils sont encore très en deçà des besoins, au regard du chemin restant à parcourir pour atteindre nos objectifs en matière de rénovation.
C’est la raison pour laquelle nous proposons de porter les dépenses annuelles de l’État en faveur de la rénovation énergétique des logements à 14 milliards d’euros supplémentaires d’ici à 2030. Nous nous appuyons ici sur la recommandation émise par Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz dans leur rapport Les incidences économiques de l’action pour le climat, publié en mai 2023. Ces derniers ont confirmé la nécessité de mobiliser 10 à 14 milliards de financement public supplémentaire par an, rien que pour la rénovation des logements résidentiels privés et le parc de logements HLM. Il s’agit donc là d’accorder la priorité au financement des travaux de rénovation performante des logements individuels et collectifs privés, et de consolider la capacité d’autofinancement de la rénovation énergétique dans le parc social. Naturellement, les paramètres des aides doivent être ajustés en conséquence de ce relèvement des dépenses publiques, pour tendre vers le reste à charge zéro pour les ménages modestes et très modestes.
En outre, nous appelons à la création d’une loi de programmation pluriannuelle relative à la rénovation énergétique. C’est cet instrument qui doit nous permettre de programmer la montée en charge progressive des investissements en fonction, d’une part, d’éventuels ajustements des dispositifs d’aides qui seront nécessaires pour répondre aux besoins des ménages et, d’autre part, en fonction des besoins pour structurer la filière professionnelle.
Ces 14 milliards d’euros représentent un investissement supplémentaire conséquent, certes, mais ils doivent toutefois être mis en perspective avec les plus de 63 milliards d’euros de dépenses publiques dans des boucliers énergétiques, faute d’avoir investi suffisamment au préalable dans la rénovation des logements et pour sortir nombre de Françaises et de Français de la précarité énergétique.
Concernant la rénovation des bâtiments tertiaires, si l’on se réfère aux travaux de Jean Pisani-Ferry et de Selma Mahfouz, ceux-ci établissent à 10 milliards d’euros d’investissements supplémentaires d’ici à 2030, soit 2,5 milliards par an.
Dans le cadre du dialogue qu’Agir pour le climat et ses partenaires de la coalition Unlock mènent avec le secteur bancaire, deux propositions ont particulièrement retenu notre attention : la création d’une banque de la rénovation énergétique et l’extension du champ des obligés aux banques. Pouvez-vous développer ces deux idées ?
Si les ménages peuvent s’appuyer sur le soutien de la puissance publique, à travers des aides publiques, l’importance du reste à charge rend nécessaire la mobilisation du crédit privé. Or, le secteur bancaire n’assure pas la promotion des produits spécifiques à la rénovation, pour réduire le reste à charge des ménages, voire l’écarte des offres proposées au profit de solutions de financement plus classiques et plus rémunératrices. En effet, le manque de rentabilité explique en grande partie le déficit de mobilisation du secteur bancaire.
Mais la transition écologique et sociale implique la mobilisation de toutes et tous face au mur d’investissements à venir. Et les banques, qui ont les capitaux disponibles et la capacité d’en mobiliser encore davantage, ont un rôle primordial à jouer pour répondre au défi du siècle. C’est pourquoi, nous estimons opportun qu’elles puissent être intégrées dans le champ des obligés du dispositif des certificats d’économie d’énergie, comme les fournisseurs d’énergies. D’autant plus que leur impact climatique a été et reste encore aujourd’hui très significatif. Il apparaît donc cohérent qu’elles puissent être contraintes de financer, réaliser et promouvoir la réalisation d’économies d’énergie. Leur implication dans ce dispositif permettrait de mieux aligner les incitations financières et de mobiliser des ressources supplémentaires pour le financement de la rénovation énergétique, compte tenu de leur rôle central dans le financement des projets d’efficacité énergétique. Et surtout, en tant qu’“obligées” d’économie d’énergie, au-delà des travaux à financer, elles seraient incitées à promouvoir davantage les prêts et les produits financiers liés à l’efficacité énergétique.
Enfin, et parce que les établissements bancaires ne possèdent pas nécessairement un modèle qui les prédispose à assurer seuls un accompagnement financier à l’échelle des besoins inhérents à l’accélération de la rénovation énergétique, nous proposons la création d’une Banque de la rénovation énergétique.
Il s’agirait de créer un établissement de place réglementé, à la lucrativité limitée, consacré au financement de la rénovation énergétique. Un tel établissement pourrait permettre de “décompartimenter” le financement des rénovations par une offre centralisant primes, subventions, prêts bonifiés et prêts bancaires. Cette banque, qui pourrait associer à son capital des banques, des sociétés de financement, des sociétés de tiers-financement et des collectivités publiques, présenterait plusieurs intérêts, à savoir de créer un établissement susceptible de posséder une surface financière suffisante, de minimiser la part de risque assumée par chacun des partenaires, grâce aux apports de ressources privées et publiques, et de favoriser l’établissement de solutions de financement à faible coût, ainsi qu’un accompagnement dans le montage des projets de rénovation, en particulier pour les ménages aux revenus modestes.
Mais la création d’un tel établissement peut néanmoins être de nature à soulever des questions financières et juridiques, comme nous le précisons dans le rapport. C’est pourquoi nous lançons actuellement des discussions et réflexions avec différents acteurs pour affiner et consolider la structure de cette proposition de banque. Nous avons également fait adopter, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024, le lancement d’une mission de préfiguration de cette banque de la rénovation, qui devrait se traduire rapidement par une mission parlementaire ou gouvernementale.