Les forêts sont des écosystèmes critiques pour l’équilibre écologique et climatique : stockage du carbone, régulation de la température, refuge de biodiversité, stabilisation des sols, fourniture de produits bois (énergie renouvelable, matériau de construction) contribuant aux objectifs de transition énergétique et de décarbonation de l’économie… En France, l’Office national des forêts (ONF) assure la gestion des forêts publiques et anticipe les défis auxquels nos forêts feront face. Nous avons posé 3 questions à Julien Bouillie, directeur adjoint des forêts et des risques naturels à l’ONF.
En France, une commune sur trois est propriétaire de forêt. Partenaire privilégié de ces acteurs publics, quelles sont les missions de l’ONF ?
L’ONF met en œuvre la gestion des forêts de 14 000 collectivités propriétaires (principalement des communes) représentant 2,9 millions d’hectares, dans le cadre de l’application du régime forestier.
Le régime forestier définit un certain nombre de règles pour garantir la pérennité de l’état boisé et la valorisation des ressources forestières, sous un angle durable et multifonctionnel. Il prend en compte les fonctions économique (production de bois), écologique (préservation de la biodiversité) et sociales (accueil du public) de la forêt, ainsi que la prévention contre les risques naturels (risque d’incendies de forêts, risques naturels en montagne). Il confère un véritable statut de protection du patrimoine forestier contre les aliénations, les défrichements, les dégradations, les surexploitations.
La charte de la forêt communale, cosignée avec la Fédération nationale des communes forestières, précise quant à elle les missions respectives de l’ONF et des collectivités propriétaires de forêts, en rappelant le rôle central de celles-ci dans l’aménagement du territoire. À l’échelle de chaque forêt, l’ONF assure ainsi la préservation du patrimoine forestier (surveillance des forêts, suivi foncier, pouvoirs de police, prévention des risques naturels) et sa valorisation (travaux sylvicoles d’entretien et de régénération de la forêt, préparation et organisation des récolte de bois).
Pour cela, un plan de gestion appelé “aménagement forestier” est le document socle de la gestion durable des forêts communales. Approuvé par arrêté du Préfet de Région sur une durée habituelle de 15 à 20 ans, il s’attache à concilier les différentes fonctions de chaque forêt, de façon adaptée à son contexte et aux enjeux de son territoire. L’ONF en assure l’élaboration et la mise en œuvre, en accord avec la collectivité propriétaire, via notamment un programme annuel d’interventions.
De façon complémentaire à la mise en œuvre du régime forestier, l’ONF peut aussi proposer aux communes ses savoir-faire et compétences dans le cadre de missions contractuelles en études et travaux.
Le 26 juin dernier, le Haut Conseil pour le Climat alertait sur le fait que les forêts en France absorbaient de moins en moins de CO2 alors que les surfaces forestières progressent. Pouvez-vous nous éclairer sur le sujet ?
Avec près de 72 MtCO2eq en 2013 absorbées, la forêt représentait ces dernières années un puits conséquent de carbone, équivalent à une compensation d’environ 15 % des émissions de gaz à effets de serre de la France. Cette situation venait d’une progression historique de la forêt en termes de surface (+ 50 % de surface au cours du 20e siècle et doublement de surface depuis le milieu du 19e siècle) et de volume sur pied (un doublement de ce volume sur la même période) : par rapport au temps long forestier, notre forêt était donc encore jeune et en progression.
Aujourd’hui ce puits a diminué de moitié à cause des dépérissements et des incendies. Quand la gestion durable des forêts assure qu’une coupe de bois est équilibrée par ailleurs par la croissance d’autres parcelles, en contexte de crise, ces pertes non programmées de peuplements viennent diminuer le puits forestier. À noter que ce puits correspond à l’accroissement qui reste en forêt chaque année et donc continue à faire progresser le stock de carbone en forêt. Ce dernier est estimé en Métropole à près de 2,8 milliards de tonnes de carbone par l’IGN.
Pour l’instant la forêt continue de progresser en surface et en volume sur pied, ce qui explique que le puits forestier existe encore. Il est d’environ 7 % des émissions de GES de la France ces deux dernières années. Cependant cette tendance pourrait s’inverser avec la vulnérabilité croissante des forêts face au changement climatique. Dans certaines zones fortement impactées par les dépérissements, l’effet puits a pu disparaître, voire devenir source. L’enjeu est donc aujourd’hui de réussir une adaptation de notre forêt pour permettre la continuité de ces peuplements avec des essences adaptées aux conditions plus chaudes et sèches.
Enfin dans une forêt en bon état et à l’équilibre, le volume moyen se stabilise et le bilan carbone devient nul. La forêt continue néanmoins à jouer un rôle crucial pour décarboner notre société, en assurant un approvisionnement en matériau renouvelable polyvalent qu’est le bois, capable de se substituer à des matériaux énergivores et fossiles, par exemple dans la construction.
C’est donc un double enjeu de garder nos forêts en bon état de santé, à la fois pour assurer la poursuite des services environnementaux rendus (biodiversité, eau, carbone), et pour permettre un approvisionnement en bois, essentiel à une économie décarbonée et circulaire.
À quoi pourrait ressembler la forêt française dans la période 2050-2100 ?
Une chose est sûre : encore plus diversifiée qu’aujourd’hui ! Les forêts ont connu de tous temps des aléas météorologiques exceptionnels, mais la situation actuelle est devenue tout autre. Le climat évolue rapidement et fortement sous l’effet des activités humaines avec des signes visibles au niveau forestier. Ce sont plus de 300 000 ha de forêts publiques qui sont aujourd’hui concernés par des dépérissements à des degrés variables, dont 50 000 ha fortement détruits. Le paysage forestier s’en trouve modifié, parfois de manière brutale. La conservation de la biodiversité associée à ces milieux est en jeu. L’alimentation de la filière bois est perturbée et va devoir s’adapter. Les questions de risques et de sécurité se renforcent : sécurité des usagers, risque d’incendie accru, reprise d’érosion sur les pentes… Si les forêts ont des capacités d’adaptation naturelles considérables, ces capacités se sont exprimées dans le passé à l’échelle du millénaire, alors que les évolutions climatiques aujourd’hui sont à l’échelle de quelques décennies, soit un pas de temps beaucoup plus court que le cycle forestier naturel. Ainsi l’outil “climessences” élaboré par les scientifiques à disposition des forestiers met en évidence que dans une projection 2100 à +4° C, 30 % des surfaces forestières actuelles basculeraient en situation “d’inconfort climatique” à l’horizon de 30 ans et 50 % à la fin du siècle.
Face à ce constat préoccupant, la forêt française dispose d’atouts : elle est déjà diversifiée en essences et hétérogène en structures (au regard notamment des forêts d’autres pays européens). L’ONF s’appuie sur cette diversité existante pour faire évoluer progressivement les peuplements forestiers vers une “forêt mosaïque”, c’est-à-dire vers une forêt qui remplit 3 critères à des échelles de perception variables selon les contextes :
- une diversité accrue d’essences, avec une priorité donnée aux essences résilientes face au changement climatique,
- une hétérogénéité des structures et des traitements sylvicoles,
- une alternance d’espaces boisés et de milieux ouverts, avec des effets de lisière induits.