La transition est en marche, mais la cadence actuelle ne suffira pas à atteindre nos objectifs climatiques. Dans cette interview, nous avons posé 3 questions à Marie-Noëlle Battistel, députée socialiste de l’Isère et spécialiste de l’hydroélectricité. Quel est son regard sur la stratégie énergétique et climatique du Gouvernement ?

Marie-Noëlle Battistel, vous êtes députée de l’Isère, considérée à l’Assemblée nationale comme la grande spécialiste de l’hydroélectricité, mais votre compétence ne s’arrête pas à cette énergie si fondamentale pour l’équilibre du système électrique français. Quel regard portez-vous sur l’élaboration de la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie (PPE) qui aurait déjà dû être débattue au Parlement en juillet 2023 et qui fait l’objet d’une dernière consultation publique actuellement ?

La PPE est un instrument clé de la politique énergétique de notre pays qui devrait découler de la loi de programmation énergie-climat. À ce titre, elle aurait dû, c’est une obligation législative, être présentée devant la représentation nationale. Je regrette vivement que les Gouvernements successifs aient privilégié la voie réglementaire malgré nos relances incessantes. Comment peut-on mener une consultation publique, s’inscrire dans le sillage des grands débats nationaux et en même temps écarter le Parlement d’un débat aussi essentiel ? Que l’on parle de souveraineté ou de transition énergétique, d’aménagement du territoire ou de pouvoir d’achat, nous sommes sur des enjeux essentiels dont le Parlement doit débattre. Au-delà de la forme, je suis assez inquiète des lacunes sur le fond : notamment l’absence d’évaluations environnementales et économiques détaillées, ainsi que des incertitudes sur la gestion de l’intermittence des énergies renouvelables, un manque de lien avec les initiatives européennes nécessaire pour assurer une transition énergétique efficace et globale.

L’électrification des usages, transports, énergie dans les bâtiments, décarbonation de l’industrie, étant présentée par le SGPE comme un pilier de la stratégie de la neutralité carbone en 2050, considérez-vous la politique mise en œuvre par les derniers gouvernements comme cohérente avec cet objectif ?

La France s’est engagée à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Cela implique une transformation profonde de notre économie et de nos modes de vie, de consommation. L’électrification des usages, notamment dans les secteurs que vous citez est un levier essentiel en effet pour réduire notre dépendance aux énergies fossiles et diminuer les émissions de gaz à effet de serre. Néanmoins, au-delà des beaux discours, des décisions récentes, comme la réduction du soutien aux véhicules électriques, semblent aller à l’encontre de ces objectifs. Pour être cohérent, nous devons privilégier une vision globale et ambitieuse en investissant massivement pour moderniser nos infrastructures et nos offres de transports collectifs. Les transports sont à l’origine de 31 % des émissions de gaz à effet de serre, il y a là un levier important à activer. La promotion du transport ferroviaire, passager et fret, le soutien aux projets de mobilités portés par les collectivités locales doivent devenir des priorités d’un aménagement du territoire du XXIe siècle. Je regrette par ailleurs les tergiversations sur MaPrimeRénov’ et le manque de moyens alloués à l’ANAH qui ne permettent pas d’atteindre les objectifs que l’État s’est lui-même fixés. Le Haut Conseil pour le Climat souligne d’ailleurs la nécessité d’intensifier les actions structurelles pour atteindre les objectifs de neutralité carbone préalablement énoncés. Un cap clair pour la décennie 2030-2040 est indispensable.

Avec l’électrification, la réduction de la consommation d’énergie est l’autre grand pilier de la stratégie française énergie-climat. Les Certificats d’économie d’énergie (CEE) en sont l’un des instruments principaux. Mais le dispositif fait l’objet de nombreuses critiques. La Cour des comptes, notamment, lui a consacré récemment un rapport sévère : il pèse pour plus de 5 milliards par an sur les factures d’énergie sans produire d’économies significatives. Alors que le niveau d’obligation des CEE pour la 6e période, qui débute le 1er janvier 2026, doit être fixé par décret dans les tout prochains jours, la représentation parlementaire peut-elle se saisir du sujet ?

​Effectivement un rapport de la Cour des comptes publié en septembre 2024 pointe que les actions financées entre 2014 et 2020 auraient permis de réduire la consommation d’énergie en France de 106 TWh en 2020, soit 6,5 % de la consommation totale, mais souligne que ces résultats d’économies d’énergie pourraient être surestimés d’au moins 30 % pour les années 2022 et 2023.

Ce dispositif très critiqué doit être revu pour le rendre plus efficace, plus sécurisé et moins complexe. Notre groupe a déjà fait plusieurs propositions dans les différents véhicules législatifs sans véritable succès à ce stade et je ne suis vraiment pas sûre malheureusement que le décret en tienne compte.