L’association américaine IGSD met en relation avocats, chercheurs, scientifiques et économistes pour faire avancer les débats sur la question du réchauffement climatique. Ses équipes concentrent leurs efforts sur la question des gaz super polluants non-C02. Maxime Beaugrand, directrice du bureau parisien de l’ONG, nous explique pourquoi.
Maxime, pouvez-vous nous dire ce qu’il y a derrière ces 4 lettres IGSD ?
Derrière l’acronyme il y a Institute for Governance and Sustainable Development. ONG basée à Washington depuis plus de vingt ans sous la Présidence de Durwood Zaelke, IGSD a ouvert son bureau parisien en 2017 en réponse à l’appel du Président Macron (« Lets Make Our Planet Great Again »). Avocate française chez IGSD depuis 2009, j’ai pris la direction du bureau de Paris à ce moment-là. L’Elysée a d’ailleurs repris l’annonce de l’ouverture des bureaux sur son compte facebook. IGSD se spécialise dans les stratégies climatiques qui vont permettre d’infléchir la courbe des températures à temps, c’est-à-dire d’ici 2030. Pour dompter le réchauffement climatique, il faut freiner les émissions de CO2 mais comme lorsqu’on l’on freine un paquebot, cela prend du temps (parce que le CO2 reste des centaines d’années dans l’atmosphère). Il faut donc aussi réduire les super polluants non-CO2 : comme lorsque l’on freine un petit bateau moteur, l’arrêt est immédiat. Ces super polluants sont les réfrigérants HFC, le méthane, le carbone suie et l’ozone troposphérique. C’est aux stratégies de réduction de ces super polluants que se consacrent sans relâche les équipes d’IGSD.
Le changement climatique et ses dérèglements s’accélèrent. Quelles réponses préconisez-vous pour faire face à ce défi ?
Le changement climatique est une course en deux temps: une course de fond jusqu’en 2050 mais que l’on ne peut gagner qu’à la condition de la doubler d’un sprint jusqu’en 2030. C’est ce sprint que nous préconisons.
Réduire les émissions de CO2 et décarboner nos systèmes est indispensable : c’est la course de fond. Elle est engagée mais prendra du temps. Le problème c’est qu’à elles seules, les réductions d’émissions de CO2 ne nous permettront pas de ralentir à temps le déclenchement des phénomènes de rétroaction positives ou feedbacks (un phénomène une fois amorcé peut s’amplifier de façon autonome parce qu’il déclenche un mécanisme qui l’auto-entretient) ni d’éviter le franchissement d’irréversibles points de bascule (fonte de la calotte glaciaire de l’Arctique, disparition de la forêt Amazonienne, modification du Gulf Stream…). C’est cela l’urgence climatique.
Pour faire face à ce défi, il faut engager un sprint c’est à dire engager fortement des solutions qui permettent d’infléchir à temps et à la baisse la courbe des températures. Ces solutions- les sprinters- sont reconnues comme nécessaires par le GIEC dans son rapport 1.5°C et par une bonne partie de la communauté scientifique. Ce sont les réductions des super polluants non-C02. Ces super polluants ont deux particularités communes : une courte durée de vie dans l’atmosphère (entre quelques jours pour le carbone suie et une dizaine d’années pour le méthane) et un fort pouvoir de réchauffement global.
A l’horizon 2050, réduire ces super polluants évitera de 2 à 6 fois plus de réchauffement que les réductions d’émissions de CO2. Réduire les super polluants permettra de réduire de moitié le rythme du réchauffement global et de 2/3 le réchauffement dans l’Arctique.
En conclusion, les réductions de ces super polluants climatiques sont les aiguillons nécessaires pour remporter le sprint vital jusqu’en 2030 et rester dans la course d’endurance jusqu’en 2050. Pour les HFC (hydrofluorocarbone) par exemple, il faut accélérer la ratification de l’Amendement de Kigali au Protocole de Montréal qui a permis de décider la réduction progressive des réfrigérants HFC, tout en s’assurant de mettre en place des solutions ultra efficaces énergétiquement dans le secteur de la climatisation résidentielle, la chaîne alimentaire du froid, la réfrigération commerciale etc. Les solutions sont plus diffuses pour le méthane mais disponibles et à des coûts abordables.
Le changement climatique s’accélère, il menace d’être abrupt et irréversible. Il est donc urgent d’enclencher des réponses ayant un impact rapide sur les températures. Pensés dans le contexte général de l’urgence climatique, ces leviers d’actions prennent une teneur fondamentale pour ne pas dire existentielle.
Pouvons-nous espérer des engagement forts de la nouvelle administration du Président Biden sur ces enjeux climatiques ?
Les indicateurs sont au vert. Le Président Biden rappelle régulièrement que le réchauffement climatique est une menace existentielle, une question environnementale mais aussi économique et liée à la justice sociale, et qu’il a un impact notoire sur les questions de sécurité nationale et internationale. Des dispositions relatives aux réfrigérants HFC ont d’ores et déjà figuré dans ses premiers décrets présidentiels (notamment les travaux nécessaires à la préparation de la ratification de l’Amendement de Kigali au Protocole de Montréal réglementant la production et la consommation des HFC). Les réglementations relatives au méthane semblent également être au cœur des préoccupations de la nouvelle administration. Lors d’une récente réunion bilatérale avec le Canada, Biden et Trudeau ont rappelé la nécessité de renforcer l’ambition climatique pour ne dépasser le seuil des 1.5°C de réchauffement, en mentionnant explicitement le rôle crucial des super polluants. De bons indicateurs se mettent place.
Maxime Beaugrand est récemment intervenue dans le journal de France 24 en réaction à la visite de John Kerry à Paris. Le sujet débute à partir de la 3ème minute.