Après avoir fixé en avril dernier les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre à 55% d’ici à 2030, la Commission européenne a présenté ce mercredi 14 juillet “Fit for 55”, le plan d’action contenant les outils législatifs censés nous permettre d’atteindre cet objectif. Si d’importantes mesures sont à souligner, certains points demeurent trop peu ambitieux compte tenu de l’urgence d’atténuer les émissions du continent. Décryptage (non exhaustif) des mesures annoncées.
Taxation du kérosène pour les vols intérieurs à l’UE.
Mais uniquement sur les vols commerciaux ! L’aviation d’affaires (jets privés) et le fret (avions-cargos) ne seraient pas concernés. Comment interpréter la décision de ne pas mettre à contribution l’aviation d’affaires alors que les propriétaires des jets privés sont pour la plupart milliardaires, que les émissions de ces appareils sont en hausse (de 31% entre 2005 et 2019) et qu’ils rejettent 10 fois plus de carbone que les avions de lignes (rapport de l’ONG Transport et Environnement). Il est prouvé que l’empreinte carbone et le niveau de vie sont corrélés et que les individus ne sont pas tous sur un pied d’égalité lorsqu’il s’agit de faire sa transition. Les États membres doivent intégrer ces paramètres dans le plan “Fit for 55” : il n’est pas juste et pas viable de préserver les plus aisés de l’effort collectif et faire reposer le poids de la transition du continent sur les plus modestes.
Fin des voitures diesel et essence en 2035 et développement du réseau de bornes électriques
Seules les voitures électriques à batteries seront autorisées à la vente en neuf à partir de 2035. Pour accompagner la transition du parc automobile, la Commission préconise de développer le réseau de bornes de recharge électrique en en installant tous les 60 kilomètres sur les grands axes routiers européens. La Commission donne un grand coup d’accélérateur dans la transition du transport routier qui pèse près de 15% des émissions de CO2 de l’Union européenne.
Création d’un second marché du carbone pour les carburants de chauffage et les transports
Le système ETS est appliqué aux carburants de chauffage et de transport par la création d’un second marché des quotas carbone dédié. Les fournisseurs, qui vont devoir sortir le portefeuille, vont certainement augmenter leurs tarifs pour compenser leurs pertes. Et en bout de chaîne ce sont les particuliers, les micro-entreprises (les VTC par exemple) et les usagers des transports qui vont à leur tour être impactés.
Pour éviter que ces décisions entrainent un mouvement de gilets jaunes européens, la Commission complète l’extension du système ETS avec la mise en place d’un fond social qui bénéficiera aux ménages les plus pauvres pour leur permettre d’effectuer leur transition énergétique. Le nouveau fonds utilisera 20 % des recettes attendues (environ 70 milliards sur 10 ans) générées par le nouveau système d’échange de quotas d’émissions couvrant les bâtiments et le transport routier. Suffisant pour permettre aux ménages les plus modestes d’encaisser la hausse des dépenses et éviter la précarité énergétique ? Pas certain d’après le think-tank ERCST qui estime que cette mesure provoquera une hausse des dépenses des ménages de 44% pour les transports et de 50% pour le chauffage.
Mécanisme d’ajustement aux frontières et fin des quotas gratuits en 2036
Cinq secteurs fortement carbonés (acier, aluminium, électricité, engrais et ciment) sont concernés par le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’UE. Ce mécanisme soumettra les importations aux règles du marché carbone européen tout en prenant en compte le marché carbone du pays exportateur (s’il existe). Mais ce mécanisme carbone ne serait mis en place qu’à partir de 2026 et avec une période de transition de dix années. Ce qui signifie que les secteurs européens à forte consommation d’énergie, et donc à fortes émissions de GES, qui bénéficient actuellement de crédits d’émissions de CO2 gratuits, vont pouvoir continuer le business as usual jusqu’en 2036 !
Instauration d’une capacité d’absorption d’une quantité donnée de CO2
La Commission propose d’instaurer un objectif de capacité d’absorption de 310 millions de tonnes équivalent CO2 d’ici 2030 pour compenser les émissions issues de la déforestation et de l’agriculture. Les Etats membres seront donc encouragés à entretenir et développer leurs espaces naturels et à limiter l’artificialisation des sols.
Ces mesures sont bienvenues mais il est regrettable que la Commission, pour enrayer les émissions dues à la déforestation et à l’agriculture intensive, ne choisisse pas de s’attaquer directement à… la déforestation et l’agriculture intensive. Elle possède pourtant les outils pour le faire. La nouvelle PAC, dont les arbitrages se sont déroulés en juin 2021, donne malheureusement des signes contraires : plutôt que d’encourager une agriculture biologique qui respecte et préserve la biodiversité, l’octroi des fonds européens continue à favoriser les exploitations conventionnelles en monoculture démesurées et les éleveurs agro-industriels, accros aux importations de soja d’Amérique latine.
Compenser les émissions avec des puits de carbone est nécessaire mais les atténuer au maximum en premier lieu est primordial.
Place maintenant aux négociations entre les Etats membres et les eurodéputés qui vont discuter de ces douze propositions pendant de longs mois. Les décisions finales se prenant systématiquement à l’unanimité des Etats au sein du Conseil, nous pouvons nous attendre à de nombreux compromis pour permettre aux négociations d’avancer. Et nous pouvons également nous attendre à ce que ces compromis aillent plus probablement dans le sens des intérêts nationaux que dans le sens du climat. Affaire à suivre.