Le Green Deal européen, le plan destiné à financer la transition écologique dans l’Union européenne pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, avait fait grandes pompes lors de son annonce par la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Mais la crise du Covid-19 a bouleversé les priorités imminentes de l’Union européenne et pourrait faire bouger l’agenda du Green Deal.

D’un côté, de longues négociations avaient permis au Green Deal d’émerger. Le 14 janvier, le plan d’investissement associé annonce une levée de 1 000 milliards d’euros de fonds, publics et privés, sur dix ans. De l’autre, du jour au lendemain, la Banque centrale européenne (BCE) mobilise 750 milliards d’euros pour faire face à la crise du coronavirus sous le programme temporaire d’achats d’urgence face à la pandémie (Pandemic Emergency Purchase Program, PEPP) (1). À cette occasion, Christine Lagarde, à la tête de la BCE, s’est exprimée en disant « les temps extraordinaires nécessitent une action extraordinaire » (2).

L’urgence climatique n’est-elle pas, elle aussi, une situation exceptionnelle qui requiert des moyens exceptionnels ? La BCE n’est pas encore prête à appliquer la résolution « whatever it takes » pour soutenir la transition écologique. Surtout qu’au niveau des États, les positions restent assez rigides, en montre l’impossibilité de trouver un accord sur les coronabonds. Cependant, la comparaison entre la crise sanitaire et la crise écologique ne tient pas la route selon Bruno Latour, sociologue et philosophe. Il écrit dans Le Monde (3) que non seulement l’agent pathogène est différent (ce n’est pas un virus mais l’humain lui-même), et en plus l’urgence climatique n’est pas aussi immédiate que l’urgence Covid-19. Cela explique en grande partie les différences de réaction face aux crises.

Certains pays, comme la Pologne ou la République tchèque, se sont déjà exprimés pour mettre de côté le Green Deal, qui viendrait entraver la relance économique. Pas de surprise ici, car ces deux pays très consommateurs de charbon étaient déjà les vilains petits canards du Green Deal. Mais on pourrait craindre que cette vision se propage et que les divers plans de relance post-crise mettent à l’honneur les énergies brunes (charbon, gaz, pétrole) plutôt que les énergies vertes (éolien, photovoltaïque, hydraulique), et ne parlons même pas de sobriété qui va devenir encore plus tabou qu’elle ne l’est déjà. De plus, les énergies brunes et notamment le pétrole connaissent en ce moment une crise de la demande qui fait fortement baisser les prix, les rendant ainsi très attirantes…

Remettre en cause la lutte contre le changement climatique pour cause de Covid-19, c’est aussi oublier que risques épidémiologiques et climatiques sont liés. Faire la transition écologique peut nous éviter une nouvelle crise de ce genre. En effet, les scientifiques identifient clairement la relation entre les transmissions de virus des animaux à l’Homme et les atteintes à l’environnement (4). Plus les animaux sont déplacés, et plus la diversité biologique s’amoindrit, plus les animaux sont propices à contracter un virus. Quant à la transmission de ce virus à l’Homme, les déplacements d’espèces et le commerce d’animaux ont aussi un rôle amplificateur. Que penser également de la fonte du pergélisol (le sol gelé en permanence des régions arctiques) qui abrite peut-être des virus anciens contre lesquels nos organismes humains d’aujourd’hui ne sont pas immunisés ?

Si l’on ne veut pas retarder encore la lutte contre le changement climatique, le Green Deal européen doit être le cadre de la relance, avec des investissements dans les énergies renouvelables, et des aides dans les secteurs polluants, conditionnées à une transformation du secteur pour aligner ses activités sur l’Accord de Paris. Christian de Perthuis, économiste et président de la chaire Économie du climat à Paris Dauphine, pense notamment aux secteurs de l’automobile et de l’aérien, qui devraient avoir droit aux aides seulement s’ils respectent leurs obligations environnementales (5). Il faut tenir compte de la crise climatique dans la relance car nous n’avons simplement plus le temps et les moyens de perdre – encore – des années de non-action. À ce titre, les initiatives fleurissent : 13 ministres de l’environnement de pays européens appellent à une relance post-crise qui s’inscrit dans le cadre du Green deal européen (6), et des députés européens s’unissent dans un appel pour une relance verte, porté par Pascal Canfin (7). Les associations environnementales aussi comptent bien jouer une carte pendant la crise. On entend des « l’après-crise sera vert ou ne sera pas » et on voit émerger une multitude d’initiatives qui refusent le retour à la normale.

Irréductible optimiste, Laurence Tubiana, pousse la réflexion encore plus loin en y voyant une opportunité pour la transition écologique. Dans une interview de France culture (8), elle soutient que la crise ne doit pas empêcher de poursuivre et d’accélérer les mesures du Green Deal et voit en cela un moyen de construire des sociétés plus résilientes aux chocs. Elle avertit les pays européens de ne pas se laisser tenter par des politiques d’austérité après la relance, qui n’ont pas démontré leur efficacité après 2008. Et appelle au contraire à profiter de la flexibilité fiscale et monétaire actuelle pour agir rapidement en consolidant le Green Deal.

Pour Laurence Tubiana, la crise du coronavirus sera soit un vrai tournant, soit une opportunité à jamais ratée. Le facteur déterminant va être l’opinion des citoyens et si ceux-ci prennent parti pour changer les choses. L’espoir est donc que l’opinion soit en faveur du climat et que cela suffise. Espérons que nous allons garder le meilleur de ce confinement, à savoir, une remise en question de l’hyperconsommation et de nos moyens de transport. Et au contraire, espérons que nous allons valoriser une consommation plus humanisée et plus locale, favoriser la réutilisation et la réparation plutôt que la fast fashion, et réécouter le chant des oiseaux.

 

(1) Communiqué de presse de la BCE : https://www.ecb.europa.eu/press/pr/date/2020/html/ecb.pr200318_1~3949d6f266.en.html
(2) Christine Lagarde, Twitter, 19/03/20
(3) Bruno Latour, tribune Le Monde : https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/03/25/la-crise-sanitaire-incite-a-se-preparer-a-la-mutation-climatique_6034312_3232.html
(4) « Scientists’ warning to humanity: microorganisms and climate change », Nature reviews microbiology : https://www.nature.com/articles/s41579-019-0222-5
(5) Christian de Perthuis, « Comment le covid-19 modifie les perspectives de l’action climatique » : https://www.chaireeconomieduclimat.org/wp-content/uploads/2020/04/ID-63.pdf
(6) Article de Climate Home News : https://www.climatechangenews.com/2020/04/09/european-green-deal-must-central-resilient-recovery-covid-19/?fbclid=IwAR2Mt0IDrIvqYQsFSAArCrQTpvyXCdA6KesqZkCqSKE5UyjmaxGlS5fzAUw
(7) Interview de Pascal Canfin pour Le Point : https://www.lepoint.fr/politique/pascal-canfin-nos-societes-sont-des-colosses-aux-pieds-d-argile-18-04-2020-2371894_20.php
(8) Interview de Laurence Tubiana pour France Culture https://www.franceculture.fr/environnement/climat-et-biodiversite-la-crise-du-coronavirus-sera-t-elle-un-electrochoc