En avril 2023, presque 5 ans après le mouvement des Gilets jaunes, le Parlement européen a voté en faveur de la création d’un nouveau marché carbone européen couvrant le transport routier et le bâtiment. Autrement dit, une nouvelle tarification carbone, qui augmentera le prix du carburant, du gaz et du fioul. 

On parle d’un nouveau marché carbone, puisqu’il s’agira du 2e marché carbone européen à entrer en activité. Le premier marché carbone, qui a démarré en 2005, couvre les gros sites industriels répartis dans toute l’Europe (cimentiers, aciéries, verreries, centrales électriques…). Plus de 11 000 sites industriels sont ainsi couverts par ce premier marché carbone. Le mécanisme a permis de réduire les émissions concernées de 30 % depuis 2013.

Le nouveau marché carbone doit débuter le 1er janvier 2027. Il viendra s’ajouter en plus de la taxe carbone nationale actuellement en vigueur en France (que le gouvernement pourra choisir de supprimer, d’amoindrir ou de laisser telle quelle). Bien qu’il soit directement impacté, le grand public ne semble pas être au courant de cette nouveauté. Peu d’associations, d’experts ou d’élus politiques abordent ce sujet, malgré son importance. Force est de constater que, après le mouvement des Gilets jaunes, la question de la tarification carbone a été mise de côté en France. La Convention Citoyenne pour le Climat, qui a réuni 150 citoyens tirés au hasard parmi la population, avait justement comme point de départ de ne pas aborder la question de la taxe carbone.

Pourtant, la tarification carbone est un levier central pour sortir des énergies fossiles, réaliser la transition écologique et préserver un climat stable pour les générations futures. Le rapport du GIEC (1) le dit clairement : “parmi la panoplie des mesures climatiques, la tarification du carbone, à travers une taxe carbone ou un marché carbone, a été une des options les plus utilisées et les plus efficaces pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.” Une lettre ouverte signée par plus de 3 600 économistes, dont 28 lauréats du prix Nobel d’économie, souligne que “la tarification carbone est le levier le plus efficace pour réduire les émissions de gaz à effet de serre à l’échelle et à la cadence nécessaires.”

Comment cela fonctionne ? Augmenter le prix des énergies fossiles permet de favoriser la sobriété, l’efficacité énergétique et d’accélérer le développement des alternatives bas-carbone. La rénovation thermique des bâtiments, les pompes à chaleur, la géothermie, l’éolien, le photovoltaïque, le nucléaire, le train, les voitures électriques, les réseaux de transports publics… Toutes ces solutions bas-carbone, et bien d’autres, sont ensuite économiquement avantagées et attirent les financements privés.

Cependant, l’impact de la tarification carbone sur le pouvoir d’achat des ménages doit être considéré. Un récent rapport de la Cour des comptes estime le coût moyen du nouveau marché carbone européen à environ 400 € par an et par ménage. C’est une estimation moyenne, et le coût exact est relatif à la consommation en énergies fossiles de chacun : plus on consomme de carburant, de gaz ou de fioul, et plus on paiera le supplément de la tarification carbone.

Est-ce vraiment équitable ? Un Fonds social climat est prévu pour compenser l’impact de ce nouveau marché carbone. Ce fonds doit servir à financer des équipements bas carbone pour les ménages à faibles revenus et ceux en situation de précarité énergétique. Par exemple, le Fonds social climat pourra financer l’achat de voitures électriques, l’extension de transports publics, l’installation de pompes à chaleur ou la rénovation énergétique des logements. Pour la France, son montant est de 1,2 milliard d’euros par an.

Mais c’est là que la bât blesse. Le nouveau marché carbone européen va rapporter au minimum 8 milliards d’euros de recettes par an au gouvernement. D’après le think tank européen Bruegel, le montant du Fonds social climat ne représente au mieux que 20 % des recettes totales, les 80 % restant étant alloués au budget général. C’est le même scénario que pendant les Gilets jaunes : d’après l’ADEME, en 2018, seulement un quart des recettes de la taxe carbone nationale était utilisé pour de la compensation ou pour la transition.

De nombreux sondages le montrent : une majorité des Français soutient la tarification carbone, à condition que les recettes soient utilisées pour compenser les ménages ou pour financer la transition. Pour rendre ce nouveau marché carbone acceptable pour le grand public, une solution serait de redistribuer ses recettes directement aux citoyens, sous forme de revenu carbone. Ce n’est pas une fantaisie : un tel système de redistribution est déjà en place au Canada, en Suisse, en Autriche et bientôt en Allemagne. En France, avec un revenu carbone, plus de 7 familles sur 10 seraient bénéficiaires nets, dont en grande majorité les ménages à faibles et moyens revenus.

Que ce soit avec la mise en place d’un revenu carbone, ou par une autre forme de redistribution, l’acceptabilité d’une taxe carbone européenne n’est pas à prendre à la légère. A priori, le scénario qui se dessine est le même que celui qui a provoqué le mouvement des Gilets jaunes. C’est-à-dire, une tarification carbone qui pèse trop sur les familles, à laquelle s’ajoute un manque de communication de la part du gouvernement et de transparence sur l’usage des recettes.

Avec une redistribution transparente et efficace, il est possible de rendre le nouveau marché carbone acceptable pour les citoyens. Ce serait alors une double victoire : nous pourrions profiter du bénéfice écologique de la tarification carbone, tout en profitant du bénéfice social de la redistribution.