Les émissions mondiales de gaz à effet de serre sont-elles en augmentation ou en diminution ? Quelles conséquences pour la lutte contre le changement climatique aura l’arrivée de Donald Trump au pouvoir ? Et qu’en est-il de la biodiversité, si utile pour absorber le carbone ? L’économiste du Climat, Christian de Perthuis, apporte des réponses à ces questions.

À Bakou, les négociateurs de la COP climat ont pris connaissance de l’édition 2024 du “Global Carbon Budget (1)” (GCB) le deuxième jour de la conférence. D’après les premières estimations, les émissions mondiales de CO2 d’origine énergétique (y compris process industriels) pourraient augmenter de 0,8 % en 2024, après la hausse de 1,4 % en 2023. Cela réduit encore le budget carbone résiduel permettant de limiter le réchauffement en dessous de 2 °C (entre 6 ans d’émissions pour 1,5 °C et 27 ans pour 2 °C).

Le constat fait froid dans le dos. Mais en rester là risque de geler l’action. En analysant plus en détail le rapport du Global Carbon Project, on peut tirer trois enseignements susceptibles de la dynamiser.

Les émissions mondiales de CO2 sont sur un plateau

La transition bas carbone est une transformation profonde du fonctionnement des sociétés qui ne peut se jauger à partir des seules données annuelles. Examinons les tendances de moyen terme. Durant la dernière décennie (2013-2023), le rythme de croissance des émissions d’origine énergétique – le “carbone fossile” – a été divisé par quatre relativement à la décennie précédente. C’est un changement majeur de trajectoire, résultant principalement de la baisse des émissions des pays développés. De leur côté, les émissions liées aux changements d’usage des terres – le “carbone vivant” – ont diminué de 28 % sur la même période. Le rythme de la déforestation tropicale a en effet reflué rapidement au Brésil et, un peu moins vite, en Indonésie. En tenant compte de cette double évolution, on s’aperçoit que les émissions totales de CO2 sont sur un plateau depuis une dizaine d’années. Une telle stabilité sur une décennie n’avait jamais été observée depuis un siècle. Mieux vaut un plateau qu’une pente ascendante, mais ce ne doit être que l’amorce d’une transformation bien plus profonde. Pour l’instant, aucune donnée ne permet de dire qu’on a atteint le pic des émissions mondiales. La question clef est maintenant de savoir quand va s’amorcer la descente du plateau et surtout à quel rythme elle va s’opérer.

La nouvelle donne économique en matière d’énergie

La COP a été précédée de quelques jours par la réélection de Donald Trump à la présidence des États-Unis qui a clairement annoncé la couleur : sortie de l’accord de Paris, relance de l’exploration pétro-gazière, régime maigre pour les subventions vertes. Le tout assorti d’une promesse de division par deux des factures énergétiques des ménages ! Trump propose d’entrer dans le futur les yeux rivés sur le rétroviseur. Pour assurer un approvisionnement énergétique à bas prix, ce n’est plus le pétrole ou le gaz qu’il faut mobiliser, mais le soleil et le vent. Tous les élus Républicains, du Texas au Dakota, l’ont compris : pour produire de l’électricité, ces énergies de flux ont gagné la bataille des coûts face aux fossiles. Avec l’électrification des usages, elles sont en train de le faire pour le transport. La stratégie du rétroviseur de Donald Trump peut ralentir ce mouvement, au prix de dégâts climatiques certains. Elle ne peut pas l’inverser. Le risque serait que les errements trumpiens ralentissent les stratégies de décarbonation à l’extérieur des États-Unis par effet de contagion. À voir la valse hésitation s’emparant des Européens sitôt qu’il s’agit d’appliquer les réglementations du Green Deal tout juste adoptées, le risque existe, mais doit être relativisé. Par son investissement sans équivalent dans les équipements et infrastructures énergétiques décarbonés, la Chine tourne le dos à la stratégie du rétroviseur. Le recul trumpien en matière climatique ne peut que la conforter dans cette voie. Bien sûr, la guerre commerciale qui s’annonce aura un coût pour l’action climatique. Mais elle a été anticipée avec le redéploiement des capacités de production chinoises dans le Sud-Est asiatique en passe de devenir, lui aussi, exportateur des équipements de la transition énergétique. En 2024, les émissions chinoises de CO2 d’origine énergétique ont été pratiquement stagnantes. Compte-tenu de la masse des investissements verts réalisés et du ralentissement du régime de croissance, il y a fort à parier que le passage à une trajectoire de baisse de ces émissions est imminent. La Chine comptant pour 32 % du total des émissions contre 13 % pour les États-Unis et 7 % pour l’Union européenne, le retournement chinois a toutes les chances d’enclencher la baisse des émissions mondiales. La prochaine décennie devrait donc être la première à connaître une baisse des émissions de CO2 depuis… le début de la révolution industrielle.

La protection des puits de carbone et l’interaction entre les COP

Le GCB ne se contente pas de comptabiliser les émissions anthropiques de CO2. Il étudie également l’ensemble du cycle du carbone et, en particulier, la capacité des puits, naturels ou anthropiques, à retirer du carbone de l’atmosphère. En 2023, la gestion des forêts et les autres interventions anthropiques favorables au captage du carbone comme l’entretien des prairies naturelles ont permis d’absorber de l’ordre de 5 % des émissions de CO2 d’origine énergétique, soit 1,9 Gt. De leur côté, les techniques industrielles de type captage direct qui ne font pas appel au  milieu naturel n’en ont absorbé qu’environ un millionième. La disparité est immense. Cela rappelle combien il y a urgence à mieux protéger les puits de carbone naturels. Le coup de frein à la déforestation tropicale va dans ce sens, mais n’est pas suffisant. Il doit déboucher sur un arrêt de cette déforestation comme l’a rappelé la COP sur la biodiversité de Cali, vu la richesse de ces massifs en espèces vivantes. La protection des puits de carbone est d’autant plus urgente que le réchauffement climatique freine la capacité d’absorption du capital naturel, comme on l’a observé sur la forêt française depuis 15 ans. En 2023 et 2024, cette altération des puits de carbone est apparue de façon spectaculaire avec le phénomène El Nino qui a accentué le réchauffement climatique : incendies monstres au Canada, sécheresse en Amazonie… L’affaiblissement du puits de carbone se poursuivra au-delà de ces épisodes extrêmes. Le changement climatique aggrave en particulier la dégradation des sols dans les zones arides. En s’épuisant, les sols se vident de leur matière organique et rejettent du CO2. On retrouve ici une interaction entre la COP climat et celle en charge de la désertification réunie cette année à Riadh. Pour stabiliser la température globale, il ne suffira donc pas de s’affranchir de notre addiction aux énergies fossiles, il faudra également prendre à bras le corps la question de la protection des puits de carbone et, plus généralement, du carbone vivant. Et là, les interactions sont multiples entre la COP climat et celles sur la biodiversité et la désertification. Une meilleure coordination entre ces trois processus onusiens permettrait d’accélérer l’action globale.

Christian de Perthuis, économiste, auteur de Carbone fossile, carbone vivant (Gallimard, 2023)

(1) Le Global Carbon Budget est produit par une équipe internationale de chercheurs coordonnée depuis l’université anglaise d’Exeter. C’est la source d’informations la plus complète et la plus accessible sur les émissions de CO2 et leurs implications sur le cycle global du carbone.