Le 4 novembre 2024, le gouvernement lançait une consultation grand public sur sa stratégie énergie et climat des 5 prochaines années (PPE, SNBC). Dans la foulée, Agir pour le climat sollicitait ses sympathisants pour produire un cahier d’acteur enrichi de leurs contributions.
Analyse des objectifs et moyens de la PPE 3
Les grands axes de la PPE 3 sont les trois points suivants :
1) Une drastique réduction de la consommation d’énergie finale : 1 410 TWh/an en 2030, 1 302 TWh/an en 2035 contre 1 545 TWh en 2022. Cette réduction s’accompagne d’une augmentation de la part de l’électricité dans cette consommation finale, au motif que la production d’électricité est décarbonée et devra le rester. Cette diminution de consommation et le transfert vers l’électricité se fera via la rénovation énergétique des bâtiments, l’électrification des transports et la décarbonation de l’industrie. Pour le secteur résidentiel, il est ainsi prévu une accélération significative de la cadence des rénovations d’ampleur. L’État se fixe l’objectif d’environ 400 000 maisons individuelles et 200 000 logements collectifs bénéficiant d’une rénovation d’ampleur, en une ou plusieurs étapes, chaque année en moyenne d’ici 2030 pour le parc privé et social, tout en maintenant un socle fort sur la décarbonation des systèmes de chauffage.
2) Pour les renouvelables électriques, il conviendrait de passer de 101 TWh/an en 2022 à 197 TWh/an en 2030 et 298 TWh/an en 2035 en se basant principalement sur les filières solaire PV, éolien terrestre et éolien en mer. Le nucléaire aurait uniquement à conforter l’existant, le nucléaire nouveau ne pouvant être mis en service à cette échéance. Les besoins en énergie ne pourront être totalement couverts par l’électricité et il faudra augmenter la production de chaleur et de froid renouvelable, biomasse, énergie de récupération, géothermie ou solaire thermique et gaz renouvelables. Elle passerait de 173 TWh/an en 2022 pour atteindre 278 à 326 TWh/an en 2030, et 333 à 422 TWh/an en 2035. La production de gaz renouvelable, actuellement le biométhane, augmenterait de 17,7 TWh/an à 50 TWh en 2030 et 50 à 85 TWh/an en 2035. La production de biocarburants serait stable à 50 TWh/an entre 2030 et 2035, l’augmentation du taux d’incorporation compensant la diminution de la consommation de carburants routiers due notamment à l’électrification.
3) Le parc nucléaire français est constitué de 57 réacteurs de production d’électricité répartis sur 18 sites différents, pour une puissance installée de 62,9 GWe, assurant une production de 320 TWh en 2023. Le fonctionnement du parc devrait être prolongé, sous réserve des exigences de sûreté, au-delà de 50 ans, voire de 60 ans, et atteindre une production annuelle de 400 TWh. Aucune nouvelle centrale nucléaire ne devrait être en production aux horizons du projet de PPE 3, à savoir 2035.
Ce qui apparaît malheureusement, c’est que la politique du gouvernement en place en novembre 2024 s’inscrit complètement à rebours des orientations du projet de PPE 3, si l’on en croit le projet de loi de finances 2025 qui est en discussion au Sénat et à l’Assemblée nationale. Il faudra attendre le vote final de la loi de finances pour en tirer toutes les conclusions. Toutefois, les signaux envoyés par le gouvernement sont très négatifs à l’égard de la politique climatique : baisse brutale de la dotation du Fonds Chaleur de l’ADEME, pourtant reconnu par la Cour des comptes comme l’outil public le plus performant (36 €/tCO2 évitée), baisse tout aussi brutale du Fonds Vert destiné aux collectivités territoriales ou baisse de la dotation à Ma Prime Rénov et aux subventions aux véhicules électriques. Cerise sur le gâteau, un article du PLF prévoit d’augmenter les accises sur l’électricité pourtant quasi totalement décarbonée. La stratégie climatique française repose en grande partie sur l’électrification des usages et les dispositions du PLF auront pour conséquence de dissuader les consommateurs, particuliers, collectivités et entreprises de convertir leur consommation d’énergies fossiles en consommation électrique. L’autre grand axe de la stratégie est le développement de la chaleur renouvelable mais le gouvernement sabre le Fonds Chaleur. Le projet de PPE 3 propose de s’appuyer sur les collectivités locales pour atteindre les objectifs mais le PLF réduit le budget du Fonds vert.
Cela pose la question du statut de la PPE. Est-ce un document réglementaire que le gouvernement n’est pas obligé d’appliquer ? Cette PPE a-t-elle vocation à être traduite dans une loi comme l’exige la Loi Climat et Résilience ?
Remarques sur les objectifs par filières
Extrait du rapport du CGAAER de 18 octobre 2023 : “Dans le débat sur l’usage des terres agricoles et son optimisation en fonction des objectifs de souveraineté alimentaire et de protection de la biodiversité, est sous-jacente l’inquiétude sur l’insuffisance du foncier agricole pour nourrir une population croissante (débats sur l’artificialisation des sols, sur les arbitrages entre extensification ou intensification, place faite à la biodiversité…). Or un angle mort de ce débat est l’abandon des terres agricoles qui conduit à de larges espaces délaissés en France. Le CGAAER a été saisi par le ministre en charge de l’agriculture d’une mission de prospective sur ce sujet des terres délaissées. Ce travail est en cours mais, d’ores et déjà, une évaluation de cette réalité des « terres abandonnées » peut être présentée sous réserve des enquêtes plus approfondies qui sont en cours : 2,7 à 3 millions d’hectares, soit l’équivalent de plus 10 % de la SAU, seraient en état d’abandon. Ces terres abandonnées, « sans usage », donc hors artificialisation ou reboisement, représentent un flux de l’ordre de 20 000 ha chaque année. On ne peut ignorer cette réalité puisque d’ores et déjà une partie significative de la SAU française est, de fait, un espace naturel le plus souvent en libre évolution sans production agricole. Dans le débat sur les usages des sols, en particulier en faveur de la biodiversité mais aussi compte tenu de l’évolution des zones d’élevage traditionnel (voir 2.2.5.) où les terres sans usage agricole devraient progresser et susciter des projets d’installation de production d’énergie renouvelable (photovoltaïque), on ne peut négliger ces terres abandonnées ni celles qui retrouvent un état forestier.”
Consultation des lecteurs de l’infolettre d’Agir pour le climat
Nombre de contributions reçues : 20
Principaux messages au travers de ces contributions :
1) Le document PPE 3 mis en consultation est très complet mais ardu à lire pour des personnes qui ne sont pas des professionnels du climat et de l’énergie. Il aurait mérité un résumé grand public qui aurait été utile pour un vrai débat démocratique.
“Différenciation des politiques tarifaires selon les revenus de chacun.”
“Privilégier les politiques incitatives plutôt que répressives (i.e. : « récompenser » les comportements vertueux – mais cependant avec maintien d’éventuelles sanctions.”
“Il y a un compromis fait entre les objectifs climat et le développement économique.
C’est-à-dire que le nucléaire reste au programme pour des raisons économiques, tout en accélérant le développement des énergies renouvelables, et la poursuite du financement des travaux énergétiques de rénovation.
J’aurais préféré que le plan suive un peu plus la direction proposée par le scénario Négawatt, en réduisant au maximum le nucléaire.
Mais garder une part « talon » de nucléaire paraît assez réaliste à court terme, car on sait que le tout renouvelable avec une gestion équilibrée du réseau national serait impossible à atteindre au moment de la fin de vie de tous les réacteurs actuels, car ça va arriver vite.”
“Le gouvernement fait constamment référence au document RTE « Futurs énergétiques 2050 », qui, selon les termes du document, mettrait en avant l’intérêt d’une forte proportion de nucléaire, et une « rentabilité économique ». Nous n’avons pas dû avoir la même lecture du document, ni des analyses qui en ont été faites, il me semblait que RTE mettait toutes les hypothèses de mix énergétique sur la table. En outre, il est affirmé également que le mix énergétique a fait l’objet d’une large concertation. Là encore, je n’ai pas la même perception : les conclusions de la Convention Citoyenne pour le Climat ont été jetées à la poubelle, et il n’y a eu aucun débat sérieux (par exemple au Parlement) sur le choix du développement du nucléaire.”
“Réorienter les financements et les moyens prévus pour le nucléaire vers des actions en faveur de la sobriété et de l’efficacité énergétiques, qui devraient être vos priorités avant une catastrophe dont vous porterez une part de responsabilité.”
“Parmi les énergies dites renouvelables, un certain nombre proviennent de végétaux : biomasse solide, bio-carburants, gaz issu de méthanisation… Quels dispositifs sont en place ou prévus pour empêcher qu’une exploitation excessive pour satisfaire une demande énergétique qui s’ajoute aux autres besoins (alimentation, matériaux, puits de carbone, protection de la biodiversité…) n’aboutisse pas à l’épuisement des ressources, notamment, mais pas seulement de la ressource forestière ? La question est très générique, la réponse est certainement assez complexe, mais il est impératif qu’elle soit donnée dans la PPE ou ailleurs. Concernant la ressource forestière, il faut prendre en compte l’évolution de cette ressource du fait du changement climatique. Cela nécessite une approche d’autant plus prudente que l’on ne peut pas prévoir avec certitude toutes les conséquences locales et générales du changement climatique à l’horizon du renouvellement des forêts.”
“Effectivement, il me semble important d’évaluer le stock de biomasse et de veiller à ce qu’il croisse pour assurer les ressources des générations futures, car je pense que l’humanité sera rapidement confronté à l’épuisement des gisements fossiles et miniers.
Alors, c’est la biomasse qui sera la dernière ressource de matières premières, de manière conflictuelle avec l’alimentation, et devra être parfaitement gérée.”
“Appliquer impérativement le rapport Pisani-Ferry sur la Transition Écologique de la France i. e. 33 milliards d’€/an et sur le plan européen appliquer, là, le rapport Draghi soit 800 milliards d’€/an”.
“Ce plan est ce qu’il est, il manque sûrement d’ambitions au long terme, mais reste très correct par rapport au budget alloué à ce secteur par le 1er ministre…”
“Je n’ai lu que le sommaire et je n’ai rien vu dans celui-ci qui concernerait une éventuelle information et/ou une formation à la réduction de la consommation d’énergie. Il me semble qu’il serait nécessaire de commencer par cela. Il est indispensable que nous fassions des efforts pour réduire considérablement notre consommation.”
8) Le trafic aérien en constante augmentation n’est pas pris en compte dans ce projet de PPE.
Un exemple avec les appels d’offres concernant la petite hydroélectricité :
“Il est indiqué que ces appels d’offres doivent être poursuivis « en maintenant un haut niveau de protection de la biodiversité et de fonctionnalités naturelles des cours d’eau… ». Actuellement, les modalités de choix des projets ne permettent pas de privilégier les offres les moins impactantes au niveau environnemental. Les projets sont notés par les services de l’État, la DREAL coordonne la partie environnementale de la note avec le service instructeur et l’OFB en particulier. Cette note environnementale ne pèse que pour 30 % de la note finale, les autres 70 % étant une note sur le prix de rachat de l’électricité proposé par le candidat. Autrement dit, si le candidat propose un prix de rachat peu élevé par rapport aux autres, il a de très fortes chances d’être retenu même si son projet a une mauvaise note sur la partie environnementale.
Le moindre impact sur la biodiversité est loin d’être garanti actuellement, malheureusement. Par contre, ces appels d’offres sont une manne financière pour les hydro électriciens car le prix de rachat leur est garanti pendant des années.
Et les projets restants en petite hydroélectricité sont bien souvent dans des zones où l’impact n’est pas négligeable, où parfois même il y a des risques sur la pérennité du projet (cas de glissements de terrain, de conduites pouvant être emportées par des crues…) mais les pétitionnaires candidatent quand même (le gain doit être supérieur aux risques).
Poursuivre ces appels d’offres dans les modalités actuelles n’est pour moi pas une bonne chose pour la biodiversité.
Il vaudrait mieux encourager le développement de projets sur des réseaux déjà existants, sans prélèvement supplémentaire.”
10) Le modèle agricole français est dépassé mais pas remis en cause par cette PPE.
Conclusion
Ce projet de PPE 3 devrait être amendé notamment sur la filière photovoltaïque pour laquelle la répartition en solaire en toitures ou ombrières et au sol est très pénalisante pour l’économie de la filière et pourrait avoir un impact très négatif pour les finances publiques.
C’est surtout le statut de cette PPE 3 qui pose question. Elle devrait avoir un caractère législatif et être accompagnée d’une programmation pluriannuelle de financements publics, notamment l’accompagnement de l’électrification des transports, la rénovation des bâtiments, le fonds chaleur de l’ADEME et le Fonds Vert destiné aux collectivités locales que le projet de PPE identifie comme des acteurs essentiels de la transition énergétique.