La BCE mène en 2022 un exercice de stress test des banques portant sur le risque climatique. Il s’agit d’évaluer l’exposition des banques de cinq pays de la zone Euro au risque de transition (le risque financier lié à l’accélération de la transition bas-carbone) et au risque climatique (le risque financier lié aux conséquences des dérèglements climatiques, comme les sécheresses ou les vagues de chaleur). Ses résultats seront connus en juillet 2022.
Le but de ce type d’exercices est double. D’une part, estimer la capacité de résistance du système bancaire à une accélération de la transition ou des impacts liés au réchauffement. En ce sens, les stress test climatiques s’intègrent parfaitement à la mission traditionnelle des superviseurs, qui est de s’assurer de la résilience et du bon fonctionnement du système financier. D’autre part, il s’agit de révéler aux banques les risques auxquels elles font face, et en cela de les inciter à réallouer leurs capitaux investis dans des entreprises contribuant à la crise climatique, et donc présentant des risques dans un processus de transition, vers des entreprises plus vertueuses.
Les difficultés techniques sont cependant nombreuses. Estimer l’impact de chocs de transition ou climatiques futurs sur la rentabilité de portefeuilles bancaires nécessite d’anticiper la trajectoire carbone des entreprises en portefeuille. L’usage de données fondées sur l’empreinte carbone actuelle des entreprises ne fournit donc qu’une vision partielle du problème, tant ces éléments peuvent évoluer rapidement. En outre, la BCE n’utilise qu’un nombre limité de scénarios sous lesquels les banques sont « stressées », alors qu’il existe une infinité d’avenirs bas-carbone et climatiques possibles. En science des matériaux, la résistance d’une structure est soumise à des pressions croissantes afin de déterminer à partir de quel niveau celle-ci cède, permettant d’obtenir une vue précise des seuils de rupture. L’utilisation de scénarios discrets, privilégiée par la BCE, n’offre pas d’information précise sur de tels seuils.
Il existe également des limites ontologiques à de tels exercices, empêchant d’en faire la panacée en matière de régulation bancaire « verte ». La transition bas-carbone et le changement climatique sont en effet des transformations d’ordres systémiques, dont les modèles de stress test ne peuvent pleinement rendre compte. La multiplicité des chaînes de transmission des risques et leur caractère extrêmement incertain ne permettent pas de capturer précisément ces mêmes risques. En outre, les potentiels effets d’émergence liés à l’engagement du processus de transition sont intrinsèquement indéterminés. Qui peut précisément décrire la multiplicité des impacts d’un processus de transition bas-carbone complet, qui équivaut à un remodelage radical de nos sociétés ? En somme, le réductionnisme des modèles de stress test ne rend pas justice au caractère transversal et systémique de la transition et de la crise climatique.
L’utilité de ces exercices est réelle, mais ils ne peuvent se substituer à une action franche de limitation des risques climatiques, c’est-à-dire d’engagement de la transition, du fait des limites précédemment décrites. C’est là tout le problème. La BCE, en tant que superviseur des principales institutions financières de la zone Euro mais aussi en tant que conductrice de la politique monétaire, peine à prendre toute la mesure des actions qu’elle doit mettre en œuvre pour que la finance contribue pleinement à la transition bas-carbone. Son approche repose principalement sur des obligations d’information, faites aux banques, relatives à la prise en compte des enjeux climatiques, ainsi que sur l’analyse des risques que font peser le changement climatique et la transition sur la finance. On est loin des transformations radicales requises au vu de l’urgence, qui nécessitent une refonte complète de l’institution monétaire et financière, à commencer par la remise en cause de son indépendance statutaire, pour mettre la régulation financière au service du climat.
Article rédigé par Riwan Driouich, économiste, membre de Agir pour le climat et de l’Institut Rousseau.