Sympathisant de notre association, Nicolas Desquinabo, expert en politique publique nous livre un exercice complexe de regard sur des politiques territoriales de rénovation énergétique.
Des apports et des enjeux importants
Le suivi et la comparaison des politiques territoriales présentent de nombreux intérêts : l’apport de connaissances sur les politiques menées, mais également sur les écarts (très variables) entre les objectifs, les résultats et les moyens engagés à différentes échelles. En outre, certaines comparaisons peuvent permettre de préciser les efficacités relatives des politiques conduites, que ce soit dans les domaines de la rénovation énergétique, des mobilités, de la production d’énergie ou de l’agriculture.
L’intérêt est d’autant plus important qu’à ce jour, la quasi-totalité des avancées majeures en termes de transition énergétique sont limitées à certains territoires infranationaux. En effet, la France et la plupart des pays sont globalement peu avancés à l’échelle nationale dans ces domaines (sauf quelques pays sur certains aspects, ex. l’Autriche sur l’agriculture bio ou la Suisse sur les mobilités).
Un suivi régulier pourrait ainsi permettre de publier des articles avec des cartographies, voire d’en proposer à la presse, afin d’objectiver les besoins importants en nouveaux dispositifs et en financements publics supplémentaires, mais également de souligner les « territoires avancés » (et de donner de l’ « autre côté » des arguments aux services sans moyens des collectivités peu investies…).
Ce travail de suivi-comparaison demande en revanche un travail conséquent et de multiples précautions, compte tenu de la publication souvent partielle et peu lisible des données territoriales. Dans un second temps, l’analyse comparative et les enseignements à en tirer demandent d’importantes précautions méthodologiques. Illustrons ces différentes difficultés (et possibilités) avec 5 exemples de politiques territoriales de rénovation énergétique (dont 3 Agglomérations et 2 Régions).
Suivre les politiques mises en œuvre : un parcours semé d’embûches
Dans un premier temps, un suivi doit permettre de préciser les principales modalités et montants d’aides proposés par les collectivités étudiées. Dans notre exemple ci-dessous, il est déjà possible de constater que la Métropole de Grenoble et la Région Normandie investissent des moyens propres relativement importants. Sachant que la grande majorité des aides dans ce domaine restent attribuées par l’Agence Nationale de l’Habitat – Anah, notamment pour les ménages aux revenus « modestes ».
Pourtant, ces simples données sur les dispositifs mis en œuvre et sur les montants engagés ne sont souvent pas disponibles ou difficiles à interpréter. En effet, si les différentes aides « individuelles » (notées en noir) sont généralement publiées sur les sites internet des collectivités, ce n’est pas le cas des montants engagés au total (en bleu) ou du détail des aides des autres financeurs (par exemple l’Anah, le Grand Est et le Bas-Rhin pour Strasbourg). Ces données sont à rechercher dans des documents parfois publiés (ex. bilans des PLH ou Programmes d’Action Territoriaux), mais le plus souvent non disponibles ou peu actualisés et parcellaires. Sachant que pour le logement social et les bâtiments tertiaires, les politiques locales sont plus rares et encore moins documentées…
De plus, les aides à l’amélioration de l’habitat peuvent concerner des rénovations avec peu d’impact énergétique, par exemple pour adapter les logements au vieillissement (entre 20 et 30 % des aides de l’Anah selon les territoires), ce qui nous amène à la question des « résultats ».
Un indispensable travail complémentaire à la recherche de données
Au-delà des moyens mis en œuvre, les « résultats » des politiques sont encore plus difficiles à connaître. Si le « nombre de logements aidés » est généralement disponible dans les bilans publiés, les types de logements concernés (ex. copropriétés ou maisons) et surtout les « types » de rénovations énergétiques soutenues sont plus rarement précisés. Pourtant, l’objectif national est d’atteindre (au moins) 500 000 rénovations « performantes » par an (dont 400 000 logements privés). Sachant qu’une rénovation « performante » n’est pas clairement définie, mais est le plus souvent interprétée comme une rénovation intégrant au moins l’isolation des murs et de la toiture et/ou permettant un gain énergétique > à 40 % (ou un « saut de 2 étiquettes énergétiques »).
*Périmètre limité au logement privé aidé par une ou plusieurs subventions (hors travaux aidés uniquement par le crédit d’impôt « transition énergétique » ou par des certificats d’économie d’énergie).
La recherche et l’analyse des documents disponibles doit donc être complétée par au moins un entretien avec le service en charge dans la collectivité, ce qui n’est pas toujours accepté, notamment lorsque les collectivités craignent d’être du mauvais côté de la comparaison…Mais ces entretiens permettent souvent de fiabiliser les données (par exemple lorsqu’il existe des doubles-comptes dans les bilans), d’en préciser l’interprétation (quels types de travaux sont plus ou moins réalisés ?) et d’en contextualiser l’analyse (en identifiant les facteurs locaux plus ou moins favorables aux rénovations énergétiques, dont notamment la répartition des types de bâtis).
Des analyses riches d’enseignements, mais nécessitant de multiples précautions
Lorsque les conditions sont réunies pour comparer diverses politiques territoriales, des enseignements importants peuvent alors être tirés. Et ceci d’autant plus lorsque des enquêtes approfondies ont été menées récemment, en interrogeant les opérateurs et bénéficiaires de ces opérations (sur le rôle des aides et des accompagnements dans l’amélioration des projets de travaux). Ainsi, plusieurs ensembles de comparaisons et d’évaluations approfondies réalisées récemment sur une trentaine de programmes territoriaux ont permis de souligner plusieurs constats assez généraux :
– Les aides aux travaux sont surtout efficaces pour développer les isolations des murs (notamment dans les copropriétés), qui se font rarement sans des aides importantes, y compris pour les ménages aux revenus « moyens » (voir les évaluations du programme Habiter Mieux, du dispositif MurMur, des Plateformes Territoriales de Rénovation Energétique-PTRE, etc.) ;
– Les effets d’aubaine sont en revanche massifs pour le remplacement des systèmes de chauffage et des fenêtres, et, plus récemment, pour l’isolation des combles perdus (ex. évaluations du CITE, du programme Habiter Mieux, des chèques éco régionaux, etc.) ;
– L’accompagnement gratuit des ménages est un facteur majeur de l’engagement dans des travaux « performants » et de qualité (ex. évaluation des PTRE, expérimentation 93, etc.), notamment pour aider au choix des entreprises, dans un contexte de fraudes croissantes.
Pour autant, ces comparaisons portent le plus souvent sur certains territoires « volontaires », alors que les politiques menées sur la plupart des territoires restent peu connues. Or ce défaut de suivi ne permet donc pas d’objectiver les écarts entre les objectifs et les moyens engagés, ni d’identifier les principaux territoires où un effort particulier devrait être engagé, afin de rattraper l’important retard pris dans le chantier de la rénovation énergétique des bâtiments.