Si critiquer le gouvernement est important pour qu’il maintienne son ambition sur la transition écologique, il est aussi important de souligner les mesures prises dont les impacts sont plutôt positifs. Le leasing social de véhicules électriques en fait partie. Il a permis à de nombreux ménages modestes d’accéder facilement à une voiture électrique, réduisant ainsi leur facture de carburant et les émissions de gaz à effet de serre. Ce dispositif pourrait toutefois être mieux calibré et devenir plus progressif pour pouvoir bénéficier à une plus large part de la population à partir de 2025.
Cet article a été rédigé en collaboration avec Nicolas Desquinabo, expert en évaluation des politiques publiques de transition écologique. Un grand merci pour sa relecture !
Pendant sa campagne en 2022, Emmanuel Macron avait annoncé la mise en place d’un programme de leasing social afin que les ménages à faibles revenus puissent accéder facilement à la voiture électrique. Conformément à sa déclaration, le programme a débuté le 1er janvier 2024, sous l’appellation “Mon leasing électrique”.
Comment est-ce que cela fonctionne ? Le leasing social permet à un particulier d’utiliser un véhicule électrique en payant simplement une mensualité, avec l’option de l’acheter à la fin du contrat. Le montant de la mensualité était le plus souvent de 100 € pour une citadine et de 150 € pour une familiale. La durée du contrat de location doit être d’au moins 3 ans. Le contrat est renouvelable une fois. Premier point positif : les conditions sont claires, ce qui facilite l’engagement des citoyens désireux de franchir le pas.
Et de nombreux ménages ont effectivement franchi ce pas. Le gouvernement avait prévu 25 000 voitures pour cette première version du programme. En quelques semaines, plus de 90 000 ménages avaient déposé une demande. Face à cet engouement, le gouvernement a doublé l’effectif de véhicules, pour monter à 50 000 locations. Chaque voiture a trouvé preneur, et la première vague du dispositif a pris fin le 14 février 2024, six semaines après son lancement. Une nouvelle session du programme débutera en 2025.
Les ménages éligibles au programme étaient ceux dont le revenu fiscal de référence par part ne dépasse pas 15 400€ par an et qui utilisent souvent leur voiture, c’est-à-dire qui résident à plus de 15 km de leur lieu de travail ou qui effectuent plus de 8 000 km par an dans le cadre de leur activité professionnelle. Cela représente environ 4 à 5 millions de ménages, soit environ 15 % des ménages français. D’après une analyse de l’INSEE, pour un ménage situé dans la médiane nationale, le carburant représente 1 100 € de dépense annuelle. En général, le plein avec une voiture électrique coûte de 2 à 3 fois moins cher que celui d’un véhicule essence ou diesel.
Bien entendu, le programme est vertueux pour le climat. En France, le secteur des transports représente près de 30 % des émissions de gaz à effet de serre. Pour réduire les émissions liées au transport, les principaux leviers sont le report modal (privilégier la marche, le vélo, le train quand c’est possible) et le développement de véhicules à faible émission (dont les voitures électriques). L’électrification du parc automobile est donc un enjeu primordial pour réussir la transition écologique. D’après l’ADEME, sur l’ensemble de sa durée de vie, une voiture électrique roulant en France a un impact carbone 2 à 3 fois inférieur à celui d’un modèle thermique similaire, en fonction de la taille du véhicule et de la batterie.
Enfin, le programme a aussi un avantage industriel, en favorisant les constructeurs automobiles européens. Une vingtaine de véhicules électriques sont proposés au leasing, tous fabriqués en Europe. Parmi ces modèles, seulement un était construit en France : la Mégane e-tech, construite par Renault dans son usine de Douai. Pour la prochaine session de 2025, le gouvernement espère que les constructeurs français saisiront l’opportunité pour proposer davantage de modèles “made in France”. Ce serait souhaitable d’un point de vue industriel, mais également d’un point de vue environnemental, les émissions liées à la fabrication étant fortement majorées par leur production dans des pays où l’électricité est 2 à 4 fois plus carbonée qu’en France (ex. Slovaquie, Espagne ou Italie pour les modèles Stellantis les plus vendus).
Le programme a été plébiscité, mais a-t-il été efficace ? Est-ce que l’argent investi a permis de réduire un volume important d’émissions de gaz à effet de serre ? Faisons les calculs.
- Combien ça a coûté ?
L’État finance chaque location à hauteur de 13 000 €. Avec 50 000 dossiers acceptés en 2024, le coût total de l’enveloppe est au maximum de 650 millions d’euros. - Combien d’émissions ont été évitées ?
Pour la phase de construction, nous utilisons les données du graphique ADEME ci-dessus. La fabrication d’un véhicule électrique “moyen” émet environ 10 tonnes CO2eq. La fabrication d’un véhicule thermique similaire émet environ 4 tonnes CO2eq. On compte donc un surplus initial d’émissions de 6 tonnes CO2eq pour la phase de fabrication.
Pour la phase d’utilisation, nous utilisons également les données du graphique ADEME.
Une voiture particulière parcourt en moyenne 10 000 km par an (source). Pour un usage dans la moyenne (moins de 30 000 km par an), la durée de vie d’un moteur de voiture électrique moderne peut atteindre plusieurs dizaines d’années (source). Prenons 20 ans comme référence. Cela correspond à 200 000 kilomètres.
D’après le graphique, au bout de 200 000 kilomètres d’utilisation, un véhicule électrique émet environ 20 tonnes CO2eq de moins qu’une voiture thermique. On compte donc un gain d’émissions de 20 tonnes CO2eq pour la phase d’utilisation.
Cela représente un gain de 20 – 6 tonnes CO2eq par véhicule électrique, soit 14 tonnes CO2eq.
Multiplié par la flotte de 50 000 véhicules, on compte 700 000 tonnes CO2eq d’émissions de gaz à effet de serre évitées grâce au programme mis en œuvre en 2024. - Est-ce que le programme a été efficient ?
650 millions d’euros divisé par 700 000 tonnes de CO2eq donne 928 € par tonne de CO2eq évitée.Ce taux est élevé, comparé à la valeur de l’action pour le climat de 200 € par tonne de CO2 évitée recommandée par France Stratégie.
Il s’agit d’une approximation, et de nombreux autres facteurs sont à prendre en compte pour estimer correctement l’efficience du programme. Tout d’abord, le coût considéré ne couvre que l’investissement public. En intégrant le gain économique sur le carburant (environ 12 000 euros pour 200 000 km aux prix de 2022), le solde global devient équilibré.
De plus, cette estimation n’intègre pas les gains issus des co-bénéfices comme la réduction de la pollution de l’air et la réduction de la pollution sonore. Surtout, le programme a une dimension sociale, en ciblant en priorité les ménages modestes qui roulent souvent. Enfin, cette mesure est un coup de pouce aux constructeurs automobiles européens.. On peut s’attendre à ce que le prix des véhicules électriques chute dans les prochaines années, comme ça a été le cas pour le coût de l’électricité photovoltaïque et éolienne.
Comment le programme pourrait-il être amélioré ? Sachant qu’environ 8 millions de véhicules sont achetés par an (dont 6 millions d’occasion), et que le dispositif concerne environ 15 % des ménages français, les 50 000 véhicules vendus dans le cadre du programme représentent environ 5 % des achats du public ciblé. Ce taux est assez faible, et pourrait être augmenté en diminuant le niveau de l’aide et en élargissant l’éligibilité à davantage de ménages.
Sur le plan social, il faut noter que le dispositif a un défaut majeur : les effets de seuil sont importants. Autrement dit, il n’est accessible qu’aux ménages qui respectent certaines conditions. C’est très injuste pour les millions de ménages dont le revenu fiscal de référence par part dépasse de peu 15 400 € par an, ou qui résident à un peu moins de 15 kilomètres de leur lieu de travail. Une solution aurait été de façonner le programme afin de le rendre plus progressif et inclusif pour plus de ménages français.
Finalement, le programme a-t-il été une réussite ? Si on se base sur l’accueil auprès des Français, oui ; bien plus de demandes ont été envoyées que ce qui était prévu initialement. Est-ce parce que l’État a été trop généreux quant à la part financée à sa charge ? Certainement. Mais il faut aussi souligner que le programme est très bien conçu et lisible pour les citoyens. Les prochaines éditions seront probablement moins généreuses quant à la part financée par le gouvernement, mais on peut espérer que cette aide plus limitée sera compensée par une baisse de prix des véhicules électriques.