Le 13 mars, le Bureau des recherches géologiques et minières (BRGM) indiquait que 14 départements étaient en état de vigilance ou d’alerte au regard des niveaux de leur réserve d’eau. Ce qui inquiète, c’est la précocité de cet état de stress hydrique et, plus encore, toute la France apparaît vulnérable. Même le préfet de la région Bretagne appelle déjà les industriels et les particuliers à maîtriser leur consommation d’eau !
En 2017, nous avons prélevé 32 milliards de m3 d’eau douce pour l’ensemble de nos usages : 8 % pour l’industrie, 9 % pour l’agriculture, 16 % pour alimenter les canaux, 17 % pour la production d’eau potable et 50 % pour le refroidissement de nos centrales électriques. Cela représente près de 20 % de la ressource hydrique naturelle française.
L’agriculture se différencie des autres secteurs consommateurs d’eau. Si ses prélèvements sont faibles, elle ne restitue que peu d’eau dans le milieu, la très grande partie est absorbée par les plantes et les animaux. Le changement climatique bouleverse déjà l’approvisionnement en eau des cultures de certaines régions. Certains professionnels du monde agricole préconisent le stockage de l’eau dans des retenues, certaines de grandes dimensions. L’argument de porteurs de ces projets est de maintenir les cultures actuelles face au risque de perte de la souveraineté alimentaire. Individuellement, chaque bassine ne pose pas forcément un problème pour l’environnement, en revanche leur multiplication porte de gros risques pour la recharge des nappes et pour les milieux naturels. C’est en conséquence, le modèle de production agricole qui est à réorienter. Nous devons remettre en état des milieux naturels propices au stockage de l’eau : les zones humides, les talus et les haies, les prairies permanentes. C’est aussi notre consommation alimentaire qu’il faut revoir en diminuant notre part carnée et en la réservant pour celles et ceux qui la conservent à des productions de qualité.
La bonne nouvelle est que nous devenons économes en eau. En 2007, le prélèvement était d’un peu plus de 32 milliards de m3. La consommation totale est restée stable, notamment pour l’eau potable, bien que la population ait augmenté. Chaque année, 5,5 milliards de m3 d’eau douce passent, ou devraient passer, par les stations de potabilisation pour les besoins domestiques, l’industrie, l’agriculture et les collectivités. Notre consommation domestique directe quotidienne est évaluée à 146 litres en moyenne par personne, chaque jour.
Mais avons-nous à l’esprit l’empreinte eau des produits que nous consommons ou des objets que nous utilisons ? L’empreinte eau est la quantité d’eau nécessaire à leur élaboration. Ainsi, notre tranche de pain de 30 g, depuis la culture de la céréale jusqu’au la réalisation du pain demande 30 litres d’eau ; 3 100 L pour une pièce de bœuf de 220 g ; 11 000 L pour fabriquer un jean et 30 000 L pour une petite voiture. L’empreinte eau des Français est de 110 milliards de m3/an, dont 40 % de ce volume est prélevé dans d’autres pays.
Comme pour l’énergie, nous devons engager la sobriété. Certains territoires pensent que la tarification est un levier pour y parvenir. Le Dunkerquois a mis en place depuis plus de 10 ans une tarification progressive. Cette tarification écologique et sociale présente 3 tranches. La première, dite de l’eau essentielle, correspond aux 80 premiers m3. La seconde, celle de l’eau utile, va de 80 à 200 m3. Enfin, au-delà, l’eau de confort est la plus chère. L’effet combiné de ce choix politique associé et d’une action de sensibilisation amènent les habitants de ce territoire à consommer 20 % d’eau en moins que la moyenne nationale.
L’autre grand chantier repose sur l’efficacité. Sur cet objectif, les tâches sont colossales. La distribution de l’eau potable en France s’effectue par près de 996 000 km de tuyaux. Les réseaux vieillissent, certains sont centenaires. Les fuites représentent en moyenne 20 % de l’eau potable produite. Un Français sur dix vit dans une collectivité dont les pertes sont de 30 % et parfois plus. En fait, cette eau n’est pas réellement perdue puisqu’elle repart dans le sol. Mais la rendre potable coûte de plus en plus cher. Ces collectivités aux pertes importantes se trouvent majoritairement dans les territoires ruraux. Elles doivent assumer un réseau conséquent pour une distribution vers des habitations dispersées. La charge financière supplémentaire pour ces collectivités, et en conséquence pour le consommateur final, pourrait être de 0,5 à 1 € par m3. Le coût moyen du m3 d’eau potable en 2021 était de 2,11 €. Et ces réseaux, souvent les plus longs, naturellement, engendrent un temps de présence de l’eau plus important, parfois à l’origine de contaminations bactériennes. Un rapport sénatorial mentionne qu’ « Il est très probable que dans les dix prochaines années, les communes rurales seront confrontées à cette difficulté, liée au transport de l’eau. » Dans la plupart des cas, elles ne pourront y faire face. L’Institut Français de l’Environnement rappelle d’ailleurs que « l’investissement pour développer la desserte a été subventionné par les aides publiques (des agences de l’eau) alors que le renouvellement n’est pas éligible ».
La situation des réseaux d’assainissement est encore plus calamiteuse. La Gazette des communes titrait en octobre 2022 « Réseau d’eau et d’assainissement, un réseau toujours sacrifié ». L’affaiblissement des capacités d’investissement des collectivités territoriales amène souvent le report de ce chantier. Par ailleurs, les eaux usées épurées sont un gisement pour l’arrosage d’espaces verts, le nettoyage des espaces publics, la récupération de chaleur… Pour l’usage en irrigation agricole, les avis divergent. Des pays européens, notamment l’Espagne, les utilisent pour pallier les sécheresses récurrentes. En France, les premiers projets sont apparus dans les années 1980. En 2017, seulement 63 stations d’épuration sur près de 20 000 en France servaient à irriguer les cultures. Les oppositions argumentent que ces eaux épurées rechargent les milieux naturels et en conséquence, ces prélèvements se font à leur détriment. Certains professionnels agricoles pointent les risques sanitaires pour leurs productions. Ils disent aussi que cela n’incite pas à remettre en cause les pratiques intensives.
Dans ce contexte, la gestion de l’eau devient un enjeu majeur. Un récent rapport annuel de la Cour de compte dit que la gouvernance actuelle « ne permet pas de répondre aux enjeux rencontrés, dans le contexte du changement climatique ». L’une des faiblesses provient de l’organisation administrative de la gestion de l’eau. Les schémas d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE) organisent la planification de la gestion de l’eau depuis 1992. Fin 2022, un peu plus de la moitié seulement du territoire national présentait des SAGE. Ils sont la déclinaison pour les sous-bassins versants des Schémas directeurs (SDAGE) qui fixent à l’échelle des grands bassins hydrographiques les orientations fondamentales pour rechercher la gestion équilibrée de la ressource en eau entre tous les usagers (citoyens, agriculteurs, industriels). La Cour indique, à juste titre, que la couverture géographique de ces schémas de gestion ne coïncide pas toujours avec les réalités des problèmes de qualité et de quantité de nombreux sous-bassins versants. Le temps long de l’élaboration de SAGE, une dizaine d’années souvent, crée un décalage entre les actions adoptées et la réalité de la situation au moment de l’adoption, notamment dans ce contexte de changement climatique. En fin de processus, les préfets lancent les Comités Locaux de l’Eau (CLE) chargés de l’application des SAGE dans chaque sous-bassin. La Cour demande de revoir la logique instituée il y a trente ans. Les CLE devraient être créés dès la mise en œuvre des SAGE.
Au regard de la multiplicité croissante des acteurs publics et privés intervenants dans le secteur de l’eau, il est urgent de réformer la gestion de ce bien commun. Il est crucial que sa gestion soit analysée de manière systémique et non au regard des intérêts individuels et corporatistes.