Dans un article précédent, nous dressions un panorama du patrimoine forestier en France qui continue de croître en surface et en volume. Bien que 75 % de la surface de ce patrimoine corresponde à des forêts privées, nous nous intéressons dans cet article aux forêts publiques dont la gestion est confiée à l’ONF et à leur statut particulier lié à l’application du régime forestier, dont la construction historique permet d’éclairer leur vocation aujourd’hui. Julien Bouillie, directeur adjoint forêts et risques naturels au siège de l’ONF, nous répond.

Article rédigé avec l’Office national des forêts (ONF).

Quelles sont les forêts publiques dont l’ONF assure la gestion ?

Les forêts publiques gérées par l’ONF comprennent globalement les forêts domaniales, pour lesquelles l’ONF a un rôle de représentant de l’État propriétaire, et les forêts des collectivités (principalement des forêts communales) où l’ONF a un rôle de gestionnaire assistant la collectivité propriétaire.

En métropole, les forêts publiques représentent 25 % de la surface forestière, soit 4,6 millions d’hectares. Elles sont réparties en 1,7 million d’hectares de forêts domaniales (selon 1 300 forêts) et 2,9 millions d’hectares de forêts des collectivités (selon 15 000 collectivités propriétaires). S’ajoutent 6,4 millions d’hectares de forêts en outre-mer, principalement en Guyane, soit une grande majorité des 8 millions d’hectares des forêts ultramarines.

La particularité des forêts publiques gérées par l’ONF est qu’elles relèvent d’un statut spécifique, le régime forestier (1).

Comment ce statut, le régime forestier, s’est-il construit dans le temps ?

Le régime forestier peut être considéré comme l’héritage de réglementations forestières successives depuis le Moyen Âge. Il s’est construit de façon progressive sur une période longue de plusieurs siècles.

Quelques étapes marquantes peuvent être mentionnées :

L’un des premiers textes de réglementation forestière en France remonte à l’ordonnance de Brunoy, qui fut édictée le 29 mai 1346 par Philippe VI de Valois, dans son château de Brunoy, en forêt de Sénart. Cette ordonnance indique notamment l’objectif que les forêts “se puissent perpétuellement soustenir en bon estat”, si bien que des spécialistes considèrent cette ordonnance comme l’une des premières formulations du concept de soutenabilité du développement, et par là même de gestion durable (“sustainable development” en anglais).

300 ans plus tard, l’ordonnance de 1669 “sur le fait des Eaux et Forêts”, rédigée sous l’impulsion de Colbert, alors contrôleur général des finances sous Louis XIV, est promulguée. Elle revêt une portée particulière dans la mesure où elle vise à la fois :

  • la protection de la ressource forestière (besoin d’une autorisation d’abattage, principe de garder des réserves lors des coupes),
  • la valorisation (valeur économique et militaire assignée aux forêts du royaume pour fournir du bois de marine notamment),
  • le renouvellement (rôle de semenciers).

Elle rend également obligatoire un “aménagement” à l’échelle de chaque forêt qui doit permettre d’équilibrer ces objectifs.

Au XIXe siècle, à une période où les besoins pour l’agriculture, la construction et la métallurgie engendrent des défrichements massifs, la promulgation du Code forestier de 1827 marque une étape clé pour la préservation des forêts alors surexploitées. Les lois de la fin du XIXe siècle (2) ajoutent des mesures de restauration des sols et de protection contre les risques naturels en montagne, en affirmant un rôle de protection des forêts contre les risques d’érosion, d’inondation, de glissement de terrain ou de chute de blocs rocheux.

Le Code forestier a depuis évolué, jusqu’à sa dernière version en 2012 (3). En complément, depuis septembre 2000, le Code de l’environnement encadre, aux côtés du Code forestier, la gestion des forêts relevant du régime forestier.

En quoi cette construction historique nous éclaire-t-elle sur le rôle aujourd’hui des forêts publiques et sur leur gestion ?

Il ressort de ce processus que le régime forestier a historiquement une double vocation.

La première est d’assurer la pérennité de l’état boisé sur le long terme. Le régime forestier est alors assimilable à un statut de protection du foncier forestier, à une échelle adaptée à la spécificité du temps sylvicole.

La seconde vocation consiste à valoriser les ressources forestières, sous un angle à la fois durable (en renvoyant au principe de soutenabilité de l’ordonnance de Brunoy) et multifonctionnel (au regard des fonctions attribuées lors des réglementations successives). Ainsi, la forêt apporte plusieurs services à la fois sur un même espace, et la gestion recherche un équilibre entre ces services selon une approche revisitée à l’échelle de chaque forêt.

Aujourd’hui en traduction de ce cadre historique, la gestion des forêts publiques est mise en œuvre de façon intégrée au regard des multiples fonctions qu’elles remplissent : l’alimentation en produits bois (énergie renouvelable, matériau de construction durable) d’une filière pourvoyeuse d’emplois, la protection de la biodiversité, l’accueil du public pour des usages variés, la prévention des risques naturels (incendies et risques en montagne), la lutte contre les effets du changement climatique (stockage du carbone, régulation du climat), la qualité des eaux et de l’air, la valeur de cadre de vie et de paysage pour les populations…

De même, pour chacune des forêts relevant du régime forestier, un document de gestion est élaboré, appelé aménagement forestier, qui traduit l’équilibre de la gestion durable et multifonctionnelle dans chaque contexte. L’aménagement forestier est approuvé par arrêté du ministre en charge des forêts pour chaque forêt domaniale et par le préfet de région pour chaque forêt de collectivité.

Nous aborderons dans un prochain article la contribution des forêts publiques à l’atténuation des changements climatiques, en référence à ce cadre et cette approche de gestion intégrée.

(1) La définition est donnée à l’article L 211-1 du Code forestier.
(2) Loi du 28 juillet 1860 sur le reboisement des montagnes et loi du 4 avril 1882 sur la restauration et la conservation des terrains en montagne.
(3) Le régime forestier est traité dans le livre II “bois et forêts relevant du RF” (partie législative et réglementaire).