Chute de la productivité, inégalités creusées… L’impact économique du changement climatique inquiète. (Le Monde du 27/12/2019)
Les institutions financières comme le Fonds monétaire international intègrent désormais ce risque dans leurs prévisions et pressent les pays de s’y préparer.
Quand, en 2014, une minuscule île, perdue au milieu du Pacifique, lance la procédure pour devenir membre du Fonds monétaire international (FMI), personne ou presque au siège de l’institution financière à Washington, n’en avait entendu parler.
Comment auraient-ils pu ? Nauru ne possède ni devise ni Banque centrale, et son produit intérieur brut (PIB) de 120 millions de dollars (108 millions d’euros) ne compte pour rien dans l’économie mondiale. Deux ans plus tard, en 2016, l’îlot de 11 000 habitants est devenu le 189e et dernier Etat à adhérer au Fonds.
A l’époque, la directrice générale du FMI, Christine Lagarde, aujourd’hui à la tête de la Banque centrale européenne (BCE), l’accueillit en ces termes : « Au moment où Nauru est confronté aux défis communs aux petites économies insulaires, notamment l’éloignement géographique et le changement climatique, le pays pourra profiter de sa participation pleine et entière à la coopération économique avec nos Etats-membres. »
« Stress tests » climatiques
Comme d’autres îles du Pacifique, Nauru se prépare à affronter les conséquences économiques du changement climatique et des catastrophes naturelles à venir. Des experts du FMI sont venus l’aider à bâtir un budget et un système de gestion des finances publiques. « Les autorités doivent avoir au minimum une vision claire de leur économie, pour mieux détecter leurs vulnérabilités et leurs besoins », explique Alison Stuart, économiste chargée des petits Etats à la division Asie Pacifique du FMI.
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Le FMI commence d’ailleurs à intégrer ce risque dans ses prévisions économiques. En toute discrétion, il a conduit, en 2019, les premiers « stress tests » climatiques dans les pays les plus vulnérables, aux Bahamas ou encore en Jamaïque, pour mesurer leur capacité de résistance aux cyclones. Le passage de l’ouragan Ivan, en 2004, a coûté à l’île de la Grenade l’équivalent de 148 % de son PIB, et sur l’île de la Dominique, dévastée par l’ouragan Maria en 2017, les pertes se sont élevées à 260 % de son PIB.
Face au changement climatique, ces pays vulnérables doivent investir dans des infrastructures résilientes : réaménagement des ports à cause de l’élévation du niveau de la mer, renforcement des bâtiments pour résister aux ouragans…
L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) évalue ces besoins en investissement à 6 000 milliards de dollars par an d’ici à 2030 dans le monde. Lorsque le rythme des cyclones augmentera, les pays ne pourront plus invoquer les circonstances exceptionnelles pour justifier des dépenses élevées. Le FMI leur conseille donc d’intégrer dans leur budget les dépenses consacrées, chaque année, à la reconstruction et à l’aide d’urgence.
« Obligations catastrophe »
Avec le surenchérissement des primes d’assurance dans certaines régions vulnérables, comme la Floride, aux Etats-unis, certains Etats se tournent vers des « obligations catastrophe » pour se couvrir contre les conséquences financières des cataclysmes. Il s’agit de contrats d’assurance transformés en titres boursiers, où l’investisseur peut perdre sa mise si la catastrophe naturelle couverte – et définie selon des critères précis, comme la localisation ou la magnitude – survient. Une prise de risque récompensée par de confortables taux d’intérêts. Avec l’aide de la Banque mondiale, les Philippines ou le Mexique y ont eu recours. Ce marché des « obligations catastrophe », apparu au début des années 1990, a quasiment doublé au cours des dix dernières années.
A long terme, le risque climatique menace la stabilité économique et financière mondiale. Les villes côtières, qui abritent plus de 400 millions d’habitants dans le monde, sont particulièrement vulnérables à l’élévation du niveau de la mer.
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L’évolution du climat est « une source de risque financier », a alerté le Réseau des banques centrales et des superviseurs pour le verdissement du système financier (NGFS), un groupe de plusieurs dizaines d’institutions monétaires qui a été lancé en décembre 2017. Son président, Frank Elderson, a averti que ces dangers étaient « complexes à analyser, sans précédent et imminents ».
De fait, les conséquences économiques du réchauffement climatique dépendent d’abord des différents scénarios de hausse des températures envisagés par les scientifiques. Ensuite, les économistes ont bien du mal à évaluer les pertes dans un monde qui s’adaptera aux nouvelles conditions climatiques par les migrations, l’adoption de nouvelles technologies, de semences différentes…
Des inégalités creusées
« On peut prédire le nombre de catastrophes naturelles avec un certain degré de probabilité, et on sait modéliser leur coût en reprenant le montant des compensations versées dans le passé par les compagnies d’assurance, explique Antoine Dechezleprêtre, économiste à l’OCDE, mais les incertitudes sont nombreuses concernant le “point de bascule”. Ce moment où le réchauffement climatique pourrait entraîner des effets en cascade difficiles à prévoir. »
Outre le coût des destructions, certains secteurs enregistreront une chute de la productivité, notamment dans l’agriculture à cause des sécheresses, ou dans l’industrie en périodes de canicule.
Les grandes entreprises intègrent déjà le péril climatique dans leurs plans d’investissement. EDF, par exemple, s’assure que ses centrales puissent s’approvisionner en eau de refroidissement, même en cas de sécheresse.
Pour les aider, la start-up américaine Four Twenty Seven (427) évalue site par site, pays par pays, les risques d’inondation, de canicule, de hausse du niveau de la mer, de sécheresse, de tempête, et bientôt de feux de forêt. Elle compte parmi ses clients des gestionnaires d’actifs, ou encore des compagnies maritimes qui veulent savoir quels ports risquent d’être submergés au cours des prochaines décennies, ou quelle sera la nouvelle carte mondiale de la production agricole. « Les secteurs les plus risqués sont ceux qui sont les moins délocalisables, comme l’industrie manufacturière, et ceux qui dépendent de l’eau et de l’énergie, plus vulnérables aux sécheresses et aux canicules », explique Nathalie Borgeaud, directrice de « 427 » en Europe.
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Seule certitude : la vulnérabilité au changement climatique creusera les inégalités. Les pays pauvres et en développement, ainsi que les Etats-Unis et la Chine seront parmi les plus touchés. En fondant leurs estimations sur la répartition mondiale des catastrophes naturelles au cours des dix dernières années, les économistes du FMI ont calculé que les pays les plus exposés verraient leur croissance annuelle inférieure de 3 % en moyenne aux autres.
« Il n’est plus possible de faire des prévisions économiques à dix ans sans tenir compte des effets du changement climatique », estime James Dixon, responsable de la recherche au cabinet de conseil Oxford Economics. Tous les économistes sont unanimes sur un point : l’argent dépensé pour réduire les émissions de CO2 sera bien inférieur au prix à payer à cause du réchauffement climatique