Cédric Philibert est consultant indépendant et analyste senior des questions d’énergie et de climat. Il a travaillé à l’Agence internationale de l’énergie (AIE) et à l’ADEME. Il a récemment publié deux livres consacrés à la transition énergétique et à l’atteinte de la neutralité carbone en France à l’horizon 2050, intitulés Éoliennes, pourquoi tant de haine ? (Les Petites Mains) et Pourquoi la voiture électrique est bonne pour le climat (Institut Veblen, Les Petits Matins). Nous lui avons posé trois questions pour en savoir plus sur sa vision de l’avenir énergétique de la France.
Vous vous attachez à démonter toutes les contre-vérités qui se répandent sur le développement des énergies renouvelables et l’électrification des usages de l’énergie, deux thématiques très complémentaires. Pouvez-vous nous résumer ces contre-vérités et vos arguments les réfutant ?
La première contre-vérité consiste évidemment à dire que les voitures électriques ne sont pas meilleures pour le climat que les voitures “thermiques”. Or, s’il est vrai que la fabrication de leurs batteries entraîne un surcroît d’émissions pour les voitures électriques par rapport aux thermiques, à l’usage c’est l’inverse et les véhicules électriques entraînent nettement moins d’émissions. Même dans le pire des cas en Europe, avec une électricité principalement faite avec du charbon, c’est un tiers d’émissions en moins sur la durée de vie d’une voiture. Si le mix électrique est déjà fortement décarboné grâce au nucléaire ou aux renouvelables, on évite jusqu’à 80 % des émissions.
Beaucoup d’études sur le bilan climatique des voitures électriques sont faites avec le mix électrique actuel et sous-estiment sa décarbonation. Or celle-ci s’accélère car le développement des renouvelables est maintenant exponentiel. Nous avons mis plus de dix ans pour passer de 20 % à 30 % de renouvelables dans le mix électrique mondial mais, dans dix ans, nous serons au-dessus de 50 %. Produire l’électricité que consommera un véhicule mis sur la route en 2024 entraînera de moins en moins d’émissions de CO2 dans les vingt ans qui viennent.
De plus, chaque fois que possible, les automobilistes rechargeront leurs batteries avec l’électricité la moins chère, qui sera aussi l’électricité renouvelable dont le coût marginal est proche de zéro. En absorbant les surplus de production, les voitures électriques faciliteront l’intégration de davantage d’énergie éolienne et solaire et amélioreront du même coup leur performance climatique.
Pensez-vous que ces campagnes de dénigrement sont orchestrées par des intérêts économiques et politiques bien organisés ? Est-ce qu’il y a un lien entre les deux thèmes, opposition aux énergies renouvelables électriques et aux véhicules électriques ?
Oui ! Les compagnies pétrolières mentent à l’opinion sur le changement climatique depuis plus d’un demi-siècle. Mais, comme cela devient de plus en plus difficile de contester le changement climatique, l’accent se déplace sur la critique des solutions, qui ne cesse d’enfler. Des officines aux USA montent bobards sur bobards, sur les éoliennes, sur le solaire, sur la voiture électrique, et les diffusent largement.
Parfois, les pétroliers créent de faux mouvements de citoyens pour contester tel ou tel aspect, comme ces contribuables qui refusaient déjà dans les années 1990 que leur argent soit utilisé pour déployer des bornes de recharge. Parfois, ce n’est même pas la peine, des citoyens sincèrement convaincus d’agir pour le bien de la planète relaient ces informations sans aucun recul.
Ces informations douteuses alimentent le discours des extrémistes de la sobriété et de la décroissance et de ceux pour qui le véritable enjeu n’est pas de combattre le changement climatique mais “le capitalisme”. La sobriété, c’est bien, mais ça ne résoudra pas tout, car on ne va pas du jour au lendemain ni même en trente ans apprendre à se passer totalement de nos quarante millions de voitures. Arrivées en fin de vie, la plupart seront renouvelées.
Les élections européennes du 9 juin pourraient être l’opportunité pour certains partis politiques de remettre en cause plusieurs dispositions du Pacte vert européen, notamment sur les énergies renouvelables et la sortie des véhicules thermiques. Comment voyez-vous la mise en œuvre du Green Deal après les élections européennes ? Avec notamment, le gouvernement français qui refuse l’objectif de 42,5 % d’EnR en 2030 et les industriels allemands de l’automobile qui veulent remettre en cause la sortie de la vente de véhicules thermiques en 2035.
Il ne reste pas grand-chose du volet agricole du Pacte vert, le mal est déjà fait ! Je ne crois pas vraiment que les élections européennes modifient la trajectoire sur les renouvelables : à part le gouvernement français qui n’ose toujours pas défendre l’éolien terrestre et conserve au nucléaire futur une confiance irraisonnée, les gouvernements européens ont compris que l’électricité était l’avenir de l’énergie, et les renouvelables l’avenir de l’électricité.
Des politiques et des commentateurs, de François-Xavier Bellamy à François Lenglet, font en effet campagne contre l’interdiction de la voiture thermique neuve en 2035, mais c’est à contre-courant des industriels de l’automobile qu’ils prétendent défendre. L’Union de l’industrie automobile allemande (VDA), qui avait critiqué cette décision en 2022, a été très claire le mois dernier : “Dans un monde où les véhicules électriques enregistrent des taux de croissance à deux chiffres et où il existe déjà en Extrême-Orient plusieurs modèles électriques moins chers que les voitures à combustion comparables, insister sur l’ancienne technologie conduit directement à un marché de niche en diminution. Notre industrie automobile ne serait alors plus dans le coup, ils ne seraient plus à même de se libérer de cette technologie et il en résulterait des rachats hostiles et des fermetures d’usines”.
À moins que les futurs élus de droite et d’extrême droite ne restent sourds aux arguments de l’industrie – ce qui serait quand même une grande première – il y a donc peu de risques que le nouveau Parlement, la nouvelle Commission et le Conseil remettent en cause l’interdiction de la vente de véhicules thermiques neufs en 2035. Mais sans doute certains voudront-ils profiter de la clause “de revoyure” en 2026 pour tenter d’élargir l’exception consentie aux fabricants de voitures de luxe, dite “amendement Ferrari”, qui donne un délai supplémentaire d’une année aux fabricants de voiture de luxe en petites séries…