Dans son dossier « La ruée vers l’hydrogène des collectivités locales », la revue L’inspiration Politique N° 3 titrait : « L’hydrogène : la solution miracle ou une utopie de plus ? »
Il est vrai que, comme l’écrit Jean-Jacques Bozonnet, auteur de ce dossier, de Jules Verne en 1875 dans L’île mystérieuse à Jeremy Rifkin en 2002 dans L’économie de l’hydrogène, ce vecteur d’énergie a été le sujet de nombreuses publications scientifiques, techniques et économiques. Depuis quelques années, une quinzaine de gouvernements ont élaboré une « stratégie hydrogène » et une dizaine d’autres avancent sur le sujet.
L’hydrogène se prête à de nombreux usages : combustible pour les mobilités, chaleur dans l’industrie et le bâtiment, process industriels (acier, verre, chimie, stockage de l’électricité). Ce qui, pour certains, en fait le vecteur central de la transition énergétique. Dans son rapport de juin 2021 « Le vecteur hydrogène », le Comité prospective de la Commission de Régulation de l’Énergie (CRE) dit : « Il y a cependant loin de la faisabilité scientifique à l’utilisation industrielle. Certaines applications de l’hydrogène présentent des surcoûts très élevés qui rendent leur généralisation peu probable à horizon 2030, en plus des contraintes en matière de sécurité ».
L’Agence Internationale pour les Energies Renouvelables (IRENA) indique que ce vecteur pourrait en 2050 couvrir 12 % de la consommation mondiale d’énergie. Le gouvernement français mise sur l’hydrogène pour réindustrialiser le territoire et ainsi créer 50 000 à 150 000 emplois dans les 10 années à venir. Le plan hydrogène français est doté de 9,1 milliards d’euros pour la période 2020-2030.
L’hydrogène entre déjà dans de nombreuses filières industrielles. 1 million de tonnes sont consommées en France dans la sidérurgie et la pétrochimie, mais proviennent pour 95 % du charbon, par traitement thermique. Cet hydrogène brun est donc un problème et non une solution. Il faut en priorité décarboner sa production (hydrogène décarboné issu du nucléaire ou hydrogène vert issu des énergies renouvelables) avant de penser plus largement son utilisation pour d’autres usages industriels ou les transports. Le rapport de la CRE présente une analyse semblable : « L’industrie constitue l’usage le plus mûr sur le plan économique à horizon 2030 ».
Il existerait un potentiel pour les poids lourds, le ferroviaire, voire le transport maritime.
Certains acteurs de la filière sont très enthousiastes. Ainsi, Philippe Boucly président de France Hydrogène imagine 450 000 voitures à hydrogène en 2030 (500 actuellement). Il pense que la production annuelle de H2 vert passera de 680 à 680 000 tonnes, et reproche aux programmes éoliens et photovoltaïques de ne pas prendre en compte les demandes futures d’hydrogène. En revanche, d’autres analystes pensent que les énergies renouvelables vont devoir en premier lieu répondre aux besoins de la consommation finale d’énergie électrique (hausse de la consommation et diminution de la production nucléaire). Les contributeurs du document de la CRE écrivent : « Le véhicule particulier à hydrogène restera en 2030 moins compétitif que le véhicule électrique, tant en raison d’un coût plus élevé du carburant que de celui du véhicule lui-même ».
Pour produire 1 kilo d’hydrogène, 10 à 20 litres d’eau sont nécessaires. À terme, en fonction du développement de la filière, cela pourrait représenter des volumes d’eau importants. L’eau utilisée doit être d’une grande pureté et donc traitée. Le dérèglement climatique en cours va accentuer les périodes de stress hydrique et les divers usages seront alors en concurrence. L’électrolyse de l’eau de mer est une voie de développement. Depuis quelques mois, la start-up Lhyfe produit 300 kg d’hydrogène par jour à Bouin (Vendée).
Le sujet du rendement de la transformation de l‘électricité en hydrogène est central. Comme l’indique l’ADEME dans une fiche documentée : « le vecteur hydrogène est l’une des solutions de stockage et d’utilisation de l’énergie envisagée pour accompagner la transition énergétique… Les références bibliographiques disponibles nous permettent ainsi d’estimer le rendement de la chaîne hydrogène à 25 % environ, valeur qui peut varier selon la nécessité ou non de comprimer pour son usage… ».
Cette faiblesse de rendement impacte le coût, mais d’autres éléments font du coût un frein. « L’analyse économique de ce vecteur est compliquée en raison de nombreuses incertitudes liées à des technologies encore en cours », indique Jean-Michel Trochet, économiste à EDF. Etienne Becker, expert des questions énergétiques à France Stratégie, s’interroge sur certaines estimations de rendement d’électrolyseurs qui paraissent « un peu trop optimistes ». Le coût de l’hydrogène pourrait se réduire si les émissions de carbone étaient toutes valorisées à leur juste prix.
Les documents analysés disent qu’il existe un potentiel pour les poids lourds, le ferroviaire, voire le transport maritime, mais d’ici à 2030 le surcoût restera conséquent. Cela interroge sur les capacités des acteurs précurseurs à payer cette émergence. Pour ces raisons : « Il est donc vraisemblable que le transport maritime ne constituera pas un secteur d’application pour l’hydrogène à l’horizon 2030. À plus long terme, en revanche, l’hydrogène pourrait faire partie des solutions » (CRE). L’ADEME dans son rapport Transition(s) 2050 dit à ce sujet : « Aussi est-il nécessaire de réduire l’écart des coûts de production actuel pour permettre le déploiement des premières installations sur la décennie 2020-2030. Cette période s’avère en effet critique pour l’industrialisation de cette technologie ».
Le directeur exécutif du Réseau de Transport de l’Electricité (RTE), Thomas Veyrenc, dit que l’apport d’hydrogène sera une nécessité physique pour des pays comme l’Allemagne ou la Belgique et qu’en France, ce sera moins un besoin qu’une stratégie.
Il existe aussi un risque sur l’approvisionnement des matières premières indispensables pour la fabrication des catalyseurs et des électrolyseurs. La ressource en nickel connaît aujourd’hui une surproduction. Mais des experts indiquent l’absence d’investissement dans de nouvelles usines. Cela engendrerait une tension d’ici cinq ans. Le platine et surtout l’iridium nécessaires dans la filière sont dans des situations critiques.
Au regard des intentions déclarées par les nations engagées dans des stratégies hydrogène, d’ici 2050, sa production pourrait consommer près de 21 000 TWh, soit presque autant d’électricité que la production mondiale actuelle (IRENA, 2021). Le manque d’électricité d’origine renouvelable peut devenir un goulot d’étranglement pour l’hydrogène. Nous comprenons mieux la stratégie du gouvernement français de vouloir a minima 6 EPR de plus.
L’extension de l’hydrogène à de nouveaux usages doit également prendre en compte les risques liés. Les nouveaux acteurs doivent être formés à la filière. En 2019, l’explosion d’un réservoir de stockage d’hydrogène en Corée du Sud a causé la mort de deux personnes et blessé six autres. Cette même année, une station-service a explosé en Norvège. Le document de la CRE dit explicitement : « Dans la mobilité, le déploiement de l’hydrogène débouchera sur de nouveaux modes de stockage à bord des véhicules et dans les infrastructures, à une utilisation prévisible de l’hydrogène liquide ou comprimé pour améliorer la densité énergétique alors qu’il existe peu de connaissances en termes d’accidentologie pour l’hydrogène liquide, ou encore à l’adaptation des infrastructures (ports, gares, aéroports, tunnels, parkings, ateliers de maintenance). Ces nouveaux usages doivent être précédés d’un travail d’analyse des risques et de définition des mesures pour les maîtriser, comme les systèmes de détection des fuites, de ventilation et d’évent, de l’adaptation des protocoles de remplissage, de la démonstration de la prise en compte du risque d’explosion (certification) et enfin de travaux pré-normatifs ».
Enfin, dans la synthèse aux décideurs, le Groupe III du sixième rapport du GIEC dit notamment, pour le volet transport, que les interventions publiques doivent inciter le passage à des modes de transport plus économes en énergie (collectifs, modes doux). Sur la base du cycle de vie, les véhicules électriques (électricité à faibles émissions) offrent le plus grand potentiel. Les biocarburants durables et l’hydrogène à faibles émissions peuvent participer à l’atténuation pour le domaine maritime, celui de l’aviation et du transport terrestre lourd, mais nécessite cependant l’amélioration des processus de production et la réduction des coûts. La stratégie d’atténuation dans les transports sera bénéfique pour la qualité de l’air et en conséquence pour la santé.