Dans cet article, l’économiste du climat Christian de Perthuis explique les évolutions prévues du marché européen du carbone, outil central pour atteindre nos objectifs climatiques. Malgré de nombreuses vicissitudes, le marché a délivré des résultats. Cependant, la question climatique devient progressivement un sujet de polarisation au sein du monde politique. Le maintien du marché carbone européen dépend principalement de son équité, et donc de la redistribution des recettes qu’il génère.
Dans cet article, nous allons nous focaliser sur le système d’échange des quotas de CO2. C’est un outil crucial pour atteindre nos objectifs climatiques, pourtant totalement absent des débats publics.
Lorsque la Russie a envahi l’Ukraine en février 2022, les prix du gaz et du charbon se sont envolés. Celui du quota de CO2 a perdu un tiers de sa valeur. Certains ont alors cru (ou espéré) que le système européen d’échange de quotas n’allait pas résister à la nouvelle donne géopolitique. Le trou d’air a été passager. Le prix du quota s’est redressé et le cadre législatif et réglementaire visant à renforcer le marché carbone a été adopté par le Parlement et l’Exécutif européen en avril 2023.
L’essentiel reste cependant à faire. La prochaine législature devra mettre en application la réforme du marché carbone, dans un contexte où l’action climatique devient de plus en plus clivante au sein de la classe politique européenne, à l’image de ce qui a été observé aux États-Unis.
Malgré de nombreuses vicissitudes, le marché a délivré des résultats
a) Le resserrement du plafond de quotas distribués
La réglementation européenne prévoit le doublement du rythme de baisse du plafond à partir de 2024 et deux retraits de quotas en 2024 et 2026. Ces mesures devraient faire baisser de 64 % les émissions des secteurs couverts par le système entre 2005 et 2030, ce qui va notamment impliquer d’engager sérieusement la décarbonation de l’industrie lourde.
b) Des allocations payantes et un prélèvement à la frontière pour décarboner l’industrie
c) L’Inclusion des transports et des bâtiments
Le climat, nouveau facteur de polarisation au sein du monde politique
Si le marché carbone a fait preuve d’une grande résilience face à la nouvelle donne géopolitique, la mise en place des trois volets de sa réforme va s’opérer dans un contexte de politique intérieure très incertain.
Historiquement, l’action climatique a fait l’objet en Europe d’un consensus assez large au sein de la classe politique. Des compromis ont pu être trouvés, notamment avec les pays d’Europe centrale ayant rejoint l’Union européenne dans les années 2000, souvent très dépendants du charbon. Des contreparties financières leur ont été accordées en échange de leur adhésion au marché carbone, pour faciliter les restructurations de leur système énergétique. Les voix discordantes, en provenance des extrêmes, n’ont guère pesé dans la discussion et encore moins dans la prise de décision.
Sur la période récente, ces voix semblent résonner bien plus fortement. En France, le Rassemblement National reprend ainsi une ritournelle anti-énergies renouvelables, allant jusqu’à prôner le démantèlement des éoliennes en place. Il est loin d’être isolé. En Allemagne, la pression du parti d’extrême droite AFD a fait reculer le gouvernement sur la réglementation des chaudières. En Suède, la taxe carbone nationale est contestée par le parti nationaliste allié au gouvernement en place. Sans évoquer les cas de la Hongrie et, à un moindre degré, de l’Italie où les gouvernements sont opposés à l’accélération de la transition climatique.
Pour résister à cette vague, le système d’échange des quotas dispose d’un atout par rapport aux autres instruments de politique climatique. Il ne coûte rien aux finances publiques. Mieux, il crée de nouvelles recettes : pas moins de 39 milliards d’Euros en 2022 ! Ces recettes vont être amenées à s’élargir fortement avec la mise en place des réformes. La clef de leur réussite résidera dans une stratégie ambitieuse de redistribution de ces nouvelles ressources pour assurer l’équité de la transition en accompagnant les multiples restructurations que va requérir la marche vers la neutralité climatique.
Le marché carbone peut-il constituer un garde-fou suffisamment robuste face à l’inquiétante montée des populismes ? C’est l’un des enjeux majeurs du prochain scrutin européen.