Il faut des financements à la hauteur des besoins d’action pour l’atténuation et l’adaptation au changement climatique. Le parlement européen et certains États membres avancent sur la proposition de Taxe sur les Transactions Financières. Le député européen Pierre Larrouturou répond à nos questions.

Le 16 février de cette année, le Parlement européen a adopté une résolution qui demande aux dirigeants d’adopter la taxe sur les transactions financières “avant la fin juin 2023”. Depuis votre arrivée à Bruxelles, c’est l’un de vos combats prioritaires. Comment avez-vous réussi à convaincre une majorité de vos collègues ?

Fin 2020, nous avons voté un premier Rapport sur le financement des politiques climat. J’étais responsable de la négociation pour mon groupe (les Sociaux-démocrates) et je me suis battu pour que ce rapport soit le plus concret possible. Et j’ai obtenu qu’on mette noir sur blanc que “malgré le Brexit, la Taxe sur les Transactions Financières pourrait rapporter 57 milliards par an”.

En septembre dernier, après 9 jours en Ouganda, j’ai fait voter en Plénière une résolution qui demande de stopper le pipeline EACOP. Il faut stopper le pipeline mais si on veut que le pétrole reste dans le sol, il faut de l’argent pour dédommager le peuple ougandais. Et ce pipeline n’est que 1 des 500 bombes climatiques qu’il faut stopper (et pour lesquelles il faudra de l’argent pour compenser le manque à gagner)…

Pour stopper les bombes climatiques et aider les pays du Sud dans les politiques d’adaptation, pour mettre enfin en place en Europe des politiques efficaces de rénovation des bâtiments et de transports en commun, il faut chaque année des centaines de milliards.

Mettre en place la TTF en Europe est une première étape. Si l’Europe le fait, on peut espérer que les autres pays de l’OCDE feront de même. Une étude récente montre qu’une TTF universelle pourrait rapporter 650 milliards par an.

Pouvons-nous espérer voir les États membres avancer sur le sujet ?

​Oui. Il n’y a pas besoin de l’unanimité. Il suffit d’une “coopération renforcée” de 10 pays. Bonne nouvelle : elle existe déjà !… Mais elle est paralysée par la France qui ne veut qu’une Taxe au rabais, la TTF qui existe déjà en France et ne concerne que 1 % des volumes échangés chaque jour sur les marchés financiers.

Tout l’enjeu est de faire bouger le gouvernement français pour qu’il accepte la vraie TTF : une petite taxe (0,1 %) mais sur toutes les transactions.

Quand certains proposent de créer de nouveaux outils fiscaux en France, le gouvernement répond souvent “Pas possible si la France est le seul pays à le faire, cela fera fuir les investisseurs”. Avec la TTF, l’argument ne tient pas puisque le Parlement et la Commission proposent une solution européenne et la France est le seul des “grands pays” qui bloque.

La pression monte : le Parlement européen a voté 2 rapports en 3 mois pour demander la création de la TTF. Le Parlement Panafricain a voté une résolution semblable le 1er juin. J’ai été invité 2 fois à Johannesburg depuis le début de l’année pour travailler avec mes collègues africains. Les attentes des pays du Sud sont énormes vis-à-vis d’une Europe qui est l’un des principaux responsables du réchauffement climatique et se contente de promesses vagues quand on parle d’aides financières. La création du fonds “Pertes et Dommages” à l’issue de la COP27 a été très bien accueillie par les pays du Sud, mais ça n’est encore qu’une coquille vide : alors, comment financer ce nouveau fonds, censé réconcilier Nord et Sud dans la lutte contre le dérèglement climatique ?

Pour répondre à cette question cruciale, le gouvernement français organise un “Sommet pour un nouveau pacte financier mondial” les 22 et 23 juin prochain à Paris. Parmi les solutions dont on parle pour financer l’atténuation et l’adaptation au changement climatique… la taxe sur les transactions financières !

Enfin, la taxation des marchés financiers ne se limite pas à l’Europe. Nous avons vu le sujet émerger dans les discussions préparatoires du G20, organisé en Inde en septembre prochain. À l’échelle mondiale et avec une petite assiette (plus faible que ce que propose la Commission européenne), cette taxe pourrait générer plus de 650 milliards de dollars par an ! Un montant enfin raisonnable au regard des investissements nécessaires à la transition écologique.

Le rapport réalisé par l’ancien commissaire général à la stratégie et à la prospective, Jean Pisani-Ferry, propose un impôt exceptionnel sur le patrimoine des plus aisés. Quel est votre point de vue ?

Évidemment positif. Le rapport de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz arrive à point nommé pour rappeler l’urgence climatique et le besoin de dégager au plus vite de nouveaux moyens. Il est évident que ce n’est pas aux plus pauvres de financer la transition écologique. L’ISF et la TTF sont 2 éléments clefs pour avancer sans tarder.

Il faudra aussi reparler d’une autre utilisation des sommes colossales créées par la BCE depuis 10 ans. C’est une idée qu’on porte depuis des années avec Jean Jouzel et avec votre belle association : quand le bilan de la BCE augmente de 2 800 milliards, on a du mal à croire qu’on ne puisse pas construire à partir de la BEI une vraie Banque du Climat dotée de moyens bien supérieurs aux moyens actuels.

Mais l’urgence est de débloquer la négociation sur la Taxe sur les Transactions Financières. Le mieux serait que la France accepte de bouger avant le Sommet Climat des 22 et 23 juin. Et si elle ne l’accepte pas en juin, on augmentera la pression jusqu’à la COP28. Toutes celles et ceux qui veulent nous aider peuvent le faire en signant l’Appel et en s’organisant pour aller en parler à leurs député-es.

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