Créer massivement des emplois grâce à la transition écologique, c’est possible ? C’est en tout cas le projet ambitieux que proposent plus de 500 personnalités, venues de douze pays différents, dans le pacte finance-climat européen. En France, il est notamment porté par l’ingénieur agronome et économiste Pierre Larrouturou, et le climatologue Jean Jouzel.
Leur objectif : créer une banque européenne du climat. Celle-ci mettrait à disposition des pays, chaque année et pendant trois décennies, une enveloppe correspondant à 2 % de leur PIB pour les aider à financer leur transition écologique. En outre, ils veulent mettre en place, au niveau européen, un budget climat de 100 milliards par an, financé par les impôts sur les bénéfices des entreprises.
Pierre Larrouturou en est persuadé, ce n’est pas une utopie. « Nous vivons dans un pays et une Europe qui n’ont jamais été aussi riches, financièrement et humainement », argumente-t-il. Grâce à ces financements, 700.000 à 900.000 emplois pourraient être créés d’ici à 2050 en France, selon les calculs de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). Le chiffre atteindrait même 5 à 6 millions dans toute l’Europe.
Des créations sur tout le territoire
L’agence avait déjà calculé ces valeurs pour « la mise en œuvre de la stratégie nationale bas carbone (rendue publique en décembre 2018), qui vise la neutralité carbone en 2050 », détaille Gaël Callonnec, économiste à l’Ademe. La logique est la suivante : la transition écologique nécessite énormément d’investissements, notamment dans l’efficacité énergétique du bâtiment. Si des emplois étaient créés dans ce secteur, le chômage serait réduit, les salaires augmenteraient, la consommation avec. « Qui dit consommation supplémentaire dit production supplémentaire, et donc de nouveaux emplois. Cela enclenche une spirale cumulative plutôt vertueuse », affirme Gaël Callonnec.
Imaginons que le gouvernement français décide, si le pacte était accepté, que tous les bâtiments du territoire doivent être correctement isolés d’ici 20 à 30 ans. Il faudrait des maçons pour isoler, des thermiciens pour l’installation des chauffe-eaux thermodynamiques, des électriciens, ou encore des couvreurs-zingueurs pour installer les panneaux solaires sur les toits. Tous ces corps de métiers seraient nécessaires, pour chaque bâtiment de France. Chaque région, département, commune, s’organiserait pour faire face à ce changement. Des formations seraient mises en place partout en France. « On va créer des emplois sur tout le territoire, pas seulement dans les grandes villes. Autant à Paris, Grenoble, que dans mon petit village des Pyrénées », se ravit Pierre Larrouturou.
Emplois verts, mais pas que
Le pacte finance-climat permettrait de développer des corps de métiers existants, mais aussi de créer de tout nouveaux métiers, par exemple dans les sociétés de tiers-financement. En Allemagne et en Belgique, elles sont répandues : un organisme va chez les ménages, établit un diagnostic des transformations à mener, et leur conseille des spécialistes pour effectuer les travaux. L’organisme aide également les foyers à contracter un emprunt, et fait en sorte que les mensualités de celui-ci soient inférieures à la facture énergétique à payer. Ce métier n’est pas développé en France, ce que déplore Gaël Callonnec : « C’est fort dommage, parce que non seulement vous luttez contre la précarité énergétique, vous diminuez les émissions de gaz à effet de serre, mais en plus de ça vous faites tourner l’économie. »
Néanmoins, parmi les potentiels 700.000 à 900.000 nouveaux emplois, tous ne seront pas « verts ». « La transition énergétique va booster le PIB (le produit intérieur brut, l’indicateur de l’activité économique), cela va avoir des effets d’entraînement sur le reste de l’économie, précise Gaël Callonnec. Quand le bâtiment fonctionne, forcément, il fait travailler des usines de ciment. Il y a alors une recrudescence de l’activité dans l’industrie, par exemple. » Indirectement, d’autres emplois seraient créés.
« Il y a évidemment des secteurs où des emplois vont disparaître »
Dans le livre Finance, climat, réveillez-vous, paru en octobre 2018, coécrit par Anne Hessel, Jean Jouzel et Pierre Larrouturou, les trois auteurs l’admettent : « Il y a évidemment des secteurs où des emplois vont disparaître : il faut s’assurer que toutes celles et ceux qui travaillent dans le secteur du charbon, en Pologne ou en Allemagne, pourront retrouver un emploi correctement payé à proximité de chez eux. Il faudra vérifier que chacune et chacun a accès aux formations nécessaires et est accompagné si besoin dans cette reconversion, qui peut être compliquée pour certains. »
Selon eux, la disparition de certains métiers sera compensée par la création de centaines de milliers d’emplois dans le secteur du bâtiment, des énergies renouvelables, de l’agriculture, de la recherche… « Il n’y a aucun doute que le bilan sera très largement positif et que ce seront partout des emplois utiles, rentables et non délocalisables », assurent-ils. L’Ademe précise cependant que le calcul des nouveaux emplois ne prend pas en compte les potentielles reconversions professionnelles. Il y aurait donc 700.000 à 900.000 chômeurs en moins en 2050. À l’heure actuelle, la France compte presque six millions de demandeurs d’emploi.
Pierre Larrouturou espère présenter le projet du pacte finance-climat lors du Conseil européen, les 21 et 22 mars.